Guy de Maupassant, Une vie, 1883.
Relecture de ce classique. C’est l’existence de Jeanne, jeune fille
fraîche sortie du couvent, vivant avec ses parents en Normandie au bord de la
mer, se mariant avec un jeune homme charmant se révélant un mari brutal, avare
et coureur. Une existence rêvée et ratée. Mais peut-être que…
Et il semblait à Jeanne que son âme s’élargissait, comprenait des choses invisibles ; et ces petites lueurs éparses dans les champs lui donnèrent soudain la sensation vive de l’isolement de tous les êtres que tout désunit, que tout sépare, que tout entraîne loin de ce qu’ils aimeraient.
Alors, d’une voix résignée, elle dit : « Ça n’est pas toujours gai, la vie. »
Duez, L'Heure du bain au bord de la plage, Rouen, musée des beaux-arts, M&M |
J’avais le souvenir d’une Jeanne à la fois malheureuse et énervante par
son incapacité à se prendre en main (souvenir tout à fait exact). Maupassant
décrit à la perfection les désillusions successives de sa vie. Quel contraste
avec les considérations sur la douceur de la vie à deux de Fort comme la mort, où l’archi célibataire Maupassant donne un tout
autre tableau du couple. Ici la nuit de noces s’apparente à un viol. Je trouve
que ce sexiste rend remarquablement tout ce qui sépare l’homme et la femme dans
leur éducation et sensibilité (ce n’est pas sans rappeler Agnès Grey). Mais Jeanne est également une femme incapable de se
prendre en main, livrée sans défense et sans volonté devant la vie. C'est un hommage à
madame Bovary dans ses rêveries, ses enthousiasmes, ses dégoûts, incapable de
saisir la vie telle qu’elle est (elle est insupportable).
En elle se développait une espèce de mélancolie méditante, un vague désenchantement de vivre. Que lui eût-il fallu ? Que désirait-elle ? Elle ne le savait pas. Aucun besoin mondain ne la possédait ; aucune soif de plaisir, aucun élan même vers les joies possibles ; lesquelles, d’ailleurs ? Ainsi que les vieux fauteuils du salon ternis par le temps, tout se décolorait doucement à ses yeux, tout s’effaçait, prenait une nuance pâle et morne.
G. Le Brun v. 1909, Musée du Louvre, RMN |
J’ai apprécié en revanche le portrait de sa mère, dans son bonté et sa grosseur,
qui en font un personnage de roman si original.
En revanche, je ne me souvenais absolument pas de la lune de miel en
Corse. Jeanne y découvre le bonheur et la sensualité, parenthèse heureuse dans
son existence. Elle s’y confronte avec le mythe romantique du bandit corse,
mais découvre surtout une nature, si différente de la Normandie ! Le
soleil, la Méditerranée, le maquis, les couleurs, les odeurs… Maupassant a beaucoup
voyagé en Méditerranée et là encore il observe le choc causé par sa lumière.
Par ailleurs, la nature normande, la mer, la végétation, les variations
des saisons sont merveilleusement décrites.
Le soleil montait comme pour considérer de plus haut la vaste mer étendue sous lui ; mais elle eut comme une coquetterie et s’enveloppa d’une brume légère qui la voilait à ses rayons.
Cette relecture a été lente car j’ai eu du mal avec un roman dont la
fin prévisible et connue me répugnait et parce que le personnage principal m’a
agacée. Mais à plusieurs reprises je me suis étonnée du talent de son auteur,
de sa justesse, de sa sensibilité. Je suis impressionnée par la capacité de
Maupassant à rendre les émotions d’une très jeune femme.
Parmi les notes du temps : les premiers chemins de fer qui relient
le Havre à Paris.
L’averse, toute la nuit, avait sonné contre les carreaux et les toits.
Le ciel, bas et chargé d’eau, semblait crevé, se vidant sur la terre, la
délayant en bouillie, la fondant comme du sucre.
Je garde un excellent souvenir de lecture de ce titre mais je ne m'en rappelle que peu concrètement. Il faudrait que je le relise !
RépondreSupprimerOups, je viens de réaliser que Lili et Lili Galipette n'étaient pas la même personne. Toutes mes excuses, j'espère avoir vu tous tes commentaires (en plus je le connais ton blog).
SupprimerBref.
Je me rappelais plus du fil narratif que du ton du livre, qui est pourtant sacrément impressionnant.
Une lecture intense alors, que cela soit lié à ce que l'on aime ou à ce que l'on déteste... C'est un roman que l'on peut relire avec plaisir ! Bon we :-)
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup ce roman de Maupassant malgré le triste destin de Jeanne, si douée à première vue pour le bonheur. Un passage du début m'est resté en mémoire, lors de ses promenades en mer : "et il lui semblait que trois seules choses étaient vraiment belles dans la création : la lumière, l'espace et l'eau."
RépondreSupprimerLes faiblesses de Jeanne agacent, c'est vrai, et l'écrivain n'est pas plus tendre avec ses personnages masculins. Mais comme tu l'écris, Maupassant fait vibrer les paysages et les saisons.
Un très bon souvenir de lecture.
RépondreSupprimerJe vois que ce roman a ses adeptes ! Tu as raison Tania, c'est tout à fait ça. Le fait que Jeanne me tape sur les nerfs est plutôt une réussite du romancier en plus !
RépondreSupprimerJe l'avais lu d'une traite ! J'avais beaucoup aimé l'ironie de Maupassant, mais sa vision du monde est particulièrement pessimiste !
RépondreSupprimerOui, c'est tout à fait. Personne n'est vraiment indemne.
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