Svetlana Alexievitch, La Fin de l’homme rouge, traduit du
russe par Sophie Benech, publication originale 2013.
Le livre indispensable sur la
Russie, tout simplement !
Svetlana Alexievitch a recueilli
des témoignages de Russes (ou de ressortissants de la CEI) de diverses générations et milieux sociaux. Elle ne
leur a pas demandé de parler de leur vision de la Russie, mais de raconter leur
vie, leur enfance, leurs amours. La Russie est là. À moins que ce ne soit
l’URSS.
500 pages de témoignages, on peut
s’y immerger complètement ou les lire doucement, car ce n’est pas facile. Ceux qui
sont nés dans les années 20, qui ont libéré l’Europe, connu les camps et n’ont
plus rien en commun avec leurs petits-enfants. Ceux qui sont nés dans les
années 60 et ont tant attendu la perestroïka, qui ont suivi, tout excités les
débats à la radio, sont allés contre les tanks avec Elstine en 1991 et qui ont
tout perdu. Ceux qui sont nés plus tard et ont vécu le capitalisme comme une
période folle, échangeant des téléviseurs contre des sous-vêtements, contre des
épilateurs pour parvenir à récupérer un peu de nourriture. Ceux qui regrettent
le communisme, ceux qui voulaient un socialisme plus humain, ceux qui hésitent,
les plus nombreux. Tous, des soviétiques.
On en apprend sur la période
soviétique bien sûr et le mode de vie quotidien de l’époque. On en apprend
surtout beaucoup sur la façon dont a chuté l’URSS et sur la façon dont l’ont
vécu les gens normaux sans exaltation fracassante sur la liberté : les
magasins vides, plus de travail, plus d’argent, la mafia, les guerres civiles
dans les anciens satellites, l’espoir et la déception, les magasins vides, puis l'irruption de gadgets en plastique de toutes les couleurs.
C’est toute une civilisation qui a été flanquée à la poubelle…
Le récit de ces événements permet
de comprendre la réticence des Russes devant les révolutions obtenues à coup de
manifestations populaires dans les pays arabes ou en Ukraine, le rapport
compliqué au pouvoir et à l’empire, à Poutine, aux hommes forts, au peuple.
Le livre n’exprime pas aucun jugement en laissant la parole libre. On n’entend presque pas la voix de l’auteur, celle qui compte est celle des anciens de l’URSS.
Il n’est pas question non plus de
nostalgie pour un régime disparu, personne ne nie les horreurs des camps, au
contraire. Mais certains les justifient, car le pays avait alors un destin et
comptait dans le monde. Les Russes ont le sentiment d’avoir été bradés.
L’homo sovieticus est une espèce en voie de disparition, incomprise
des autres êtres humains. Mais entre soviétiques, on se comprend.
Le mot le plus fréquent dans le
livre est peut-être « saucisson ». Le monde entier tourne autour du
prix du saucisson, produit préféré de bien des Russes. Et il est question des
conversations dans les cuisines, le lieu où l’on se rassemble pour discuter et
échanger, le lieu où se mêle vie intime et réflexion politique.
Je suis un pauvre ringard de
Soviet, hein ? Mes parents sont des ringards, et mes grands-parents aussi.
Mon grand-père ringard est mort devant Moscou en 1941… Et ma grand-mère
ringarde était chez les partisans. Mais il faut bien que messieurs les libéraux
méritent leur pâtée ! Ils voudraient que l’on considère notre passé comme
un trou noir.
Moi qui pensait que l'homo sovieticus était de retour.
RépondreSupprimerun livre indispensable je suis tout à fait d'accord et qui aide à comprendre ce qui se passe en ce moment aussi bien en Russie qu'en Ukraine
RépondreSupprimerJ'avais lu un article sur ce livre mais c'est ton billet qui m'a vraiment donné envie de le lire, donc merci !
SupprimerOu ton billet est passionnant. Il est comme un mini-reportage et je me suis laissée prendre.
RépondreSupprimerMerci, cela me va droit au coeur ! Mais le livre est vraiment bon, faut dire.
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