La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 20 novembre 2014

Toi, tu as la vie, Adrián, ce qui m’insupporte et me fait envie.

Rosa Montero, La Fille du Cannibale, traduit de l’espagnol par André Gabastou, première publication 1997.

Lucía, la narratrice, est auteur de livres pour enfants, à la quarantaine peu épanouie, mariée à Ramón par habitude. Sauf qu’au début du roman Ramón est enlevé. Lucía commence alors à en découvrir de belles sur celui qu’elle pensait sans intérêt. Dans sa quête, elle est aidée par deux voisins, le jeune et beau Adrián et le vieux Félix, ancien anarchiste et ancien torrero.

Au premier abord, le roman m’a un peu déçue, sans doute parce qu’il effleure les genres du roman noir, du roman policier, du roman centré sur les désillusions d’une femme et du roman historique. Je ne savais pas trop quoi en penser. Mais j’avoue avoir pris plaisir à ma lecture, très désireuse de savoir ce que devenaient le fameux Ramón et les deux millions de pesetas de sa rançon. Nous passons fréquemment du ton propre à un roman de suspense (kidnapping, rançon, doigt coupé, tentative de meurtre, etc.) à quelque chose de plus loufoque, car Lucía est tout à fait ordinaire et pas du tout une femme fatale à la Chandler. Connaître le fin mot de l’intrigue n’est pas le but principal du roman. Le trio qu’elle forme avec Adrián et Félix est improbable. Par ailleurs, le roman est traversé par l’histoire de Félix, celle de l’anarchisme espagnol, qui est très émouvante. Enfin, c’est surtout le roman d’une femme rendue au milieu de sa vie et qui ne sait pas très bien quoi faire d’elle et qui est désespérément seule.

Parce que l’identité de chacun est quelque chose de fugitif, de fortuit et de changeant, si bien que si l’on cesse de regarder quelqu’un pendant longtemps, on peut le perdre pour toujours, exactement comme si l’on était en train de suivre des yeux un petit poisson dans un immense aquarium et que, tout à coup, on se laissait distraire, et lorsqu’on regarde de nouveau, il n’y a plus rien qui le distingue de tous les autres de son espèce.

L’alternance de rythme et de ton a donc ses aspects négatifs et positifs. C’est finalement un roman qui m’a bien plu (au vu du nombre de citations que j'ai notées). Il se partage entre humour et amertume, ressemblant bien à une vie humaine. Je continue cependant à lui préférer le très beau Des larmes sous la pluie.

Parce que ce que l’on apprend occupe une place, pèse, parfois, davantage dans la mémoire qu’une cargaison de bois et vieillit plus qu’une maladie douloureuse et incurable. De fait, apprendre des choses est, parfois, une maladie douloureuse et incurable. Demeure en soi comme une plaie palpitante, un préjudice irrémédiable dans le regard que l’on porte sur la réalité.


2 commentaires:

Anis a dit…

J'ai lu un seul livre d'elle "Le territoire des barbares" qui ne m'avait pas déplu mais qui ne m'avait pas vraiment plu non plus.

nathalie a dit…

Moi j'ai lu Des larmes sous la pluie qui m'avait vraiment plu et absorbée et un livre sur son métier d'écrivain qui était vraiment intéressant (La Folle du logis, voici le lien http://chezmarketmarcel.blogspot.fr/2012/01/dans-la-courte-nuit-de-la-vie-humaine.html ) et qui te plairait je pense.