La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 18 décembre 2014

Pour elle, cette vieille maison était comme en feu, l’amour de son fils y flambait comme la lumière d’un incendie.

Honoré de Balzac, Béatrix, 1839.

J’avais beaucoup entendu parler de ce roman de Balzac, je ne sais pas pourquoi, car je trouve que ce n’est pas vraiment une réussite.
Le début du roman se campe à Guérande, ville de l’ancienne France en plein XIXe siècle, parmi la famille du Guénic, ancestrale et noble si l’en est. L’intérêt se porte sur le fils unique de la famille, Calyste, beau et naïf, entier et sincère. Le jeune homme fréquente la maison de Mademoiselle des Touches, une femme de théâtre (autant dire pas grand-chose), mais s’éprend éperdument de l’amie de celle-ci, Béatrix. Le roman nous raconte cet amour.

Que sont les Casteran, demanda-t-elle au baron.
- Une vieille famille de Normandie, alliée à Guillaume-le-Conquérant, répondit-il.

Pour moi, une des grosses faiblesses du roman est son manque d’unité. Balzac passe de longues pages à évoquer Guérande, le paysage breton avec ses saulniers, ses rochers et ses personnages hauts en couleur. Balzac joue à fond la carte des clichés romantiques (le Breton obstiné, la poésie des paysages, etc.) et le jeu des personnalités est réussi. Mention spéciale à la mère de Calyste, tout en devoir, mais qui s’initie à la passion amoureuse au travers de son fils – c’est une belle trouvaille. Et zou, nous voici dans les salons parisiens, avec l’introduction de nouveaux personnages et on oublie Guérande. La première partie semble inutile, la seconde trop chargée et c’est bien dommage que l’auteur n’ait pas davantage exploité son milieu (comme l’est Nemours pour Ursule Mirouët).
M.S. Félix, Porte Saint-Michel. Remparts de Guérande.
Avant 1896. Charenton, médiathèque de l'architecture, photo RMN.
J’ai vu l’Italie, où tout parle d’amour ; j’ai vu la Suisse, où tout est frais et exprime un vrai bonheur, un bonheur laborieux ; où la verdure, les eaux tranquilles, les lignes les plus riantes sont opprimées par les Alpes couronnées de neige ; mais je n’ai rien vu qui peigne mieux l’ardente aridité de ma vie que cette petite plaine desséchée par les vents de mer, corrodée par les vapeurs marines, où lutte une triste agriculture en face de l’immense Océan, en face des bouquets de la Bretagne d’où s’élèvent les tours de votre Guérande.

Et puis, il y a la question des personnages. Certains sont un peu clichés, mais pleinement romanesques comme Sabine de Grandlieu dont les lettres sont très réussies. Mais le sort que Balzac réserve à Mademoiselle des Touches est pénible. C’est une femme auteur qui a choisi de ne pas se marier, qui gère ses affaires, une femme qui sort de son rôle de femme, un monstre donc – c’est bien normal qu’elle soit malheureuse (je vous la fais courte). Balzac est un incurable sexiste et cette fois, contrairement au très réussi Honorine, il ne se laisse pas emporter par les passions de son personnage. Ce portrait à peine camouflé de George Sand (Indiana est cité comme un livre dangereux pour le mariage) n’est pas à l’honneur de l’auteur.

Vous n’avez jamais été aimée, ma pauvre Maupin, et vous ne le serez jamais après vous être refusé le beau fruit que le hasard vous a offert aux portes de l’enfer des femmes, et qui tournent sur leurs gonds poussées par le chiffre 50 !
Vitrail de la collégiale Saint-Aubin. Image Wiki.
Un des sujets qui intéressent Balzac est celui de la beauté, ou plus exactement de la jeunesse, qui s’en va. Que devient une fleur vieillissante (= qui a plus de 35 ans) ? Comment fait-elle pour séduire ? Et, sujet connexe, comment conserver longtemps l’homme (époux ou amant) quand il est cueilli ? La question se pose chez les deux sexes (NucingenHector Hulot). C’est, sans doute, une obsession personnelle. On sait Balzac un écrivain inquiet. Cela peut donner à des pages touchantes, mais ce n’est guère le cas ici.
J'ai relevé un grand nombre de pages brillantes malgré tout, les formules et les belles descriptions abondent. La réussite de l’intrigue finale dans ses dernières pages montre à quel point le romancier manipule ses personnages comme des marionnettes.  Petite note : Balzac ne sème-t-il pas le nom de Walter Scott dans chacun de ses romans ? 

Ce spectacle élève la pensée tout en l’attristant, effet que produit à la longue le sublime, qui donne le regret de choses inconnues, entrevues par l’âme à des hauteurs désespérantes.


6 commentaires:

Lili a dit…

Zut, la première phrase m'avait pourtant accrochée, a priori ^^

nathalie a dit…

Faut être honnête, j'ai noté plein de phrases et passages très intéressants, drôles ou émouvants, tout en me disant "que c'est agaçant" tout du long de ma lecture.

Le Salon des Lettres a dit…

Grâce à tes lectures je découvre tous les Balzac, un auteur qu'il me reste à découvrir encore. Je le note !

nathalie a dit…

Je fais le tri avant ton passage !

Anonyme a dit…

Effectivement nous n'avons pas eu tout à fait la même lecture de ce roman. Je ne me souviens pas m'y être ennuyée, mais sans doute ma lecture (deuxième car Beatrix fut mon premier Balzac quand j'étais adolescente) fut auréolée de souvenirs d'ado et influencée par la figure de Sand. Sans être flatteur pour Sand, je trouve qu'il dresse un portrait assez vrai cependant de la femme auteur à l'époque, du moins de la façon dont on les percevait !

nathalie a dit…

Ah, en matière de perception, je ne doute pas de la justesse du propos. Mais on a connu Balzac plus clairvoyant ou plus romanesque (à mon goût du moins).