Patrick Modiano, Rue des Boutiques Obscures, 1978.
Le narrateur, semble-t-il
amnésique, part à la recherche de son passé. À partir d’un nom propre, il en
découvre d’autres. Il croit se reconnaître sur une vieille photographie, se
rend dans un château où il croit être déjà venu, cherche son vrai nom. Au fur
et mesure il s’approche de plus en plus de la France occupée, des contrôles de
la police, des disparitions inexpliquées, des non-dits et des silences.
Je découvre le monde de Modiano,
un Paris disparu et obsolète aux numéros de téléphone désaffectés, le silence
et les gênes des personnages, les trajets dans des rues désertes. La quête du
narrateur s’effectue sans réelle logique, il s’agit plus de la recherche d’une
mémoire des lieux que d’une connaissance des faits. Je suis frappée par l’omniprésence
des noms propres, noms de personnes, de rues, d’hôtel. Je m’y suis perdue, il
est visible, si l’on peut dire, que Modiano tire sa poésie de la fréquentation
des annuaires.
Difficile d’en dire beaucoup sur
ce roman, qui tient par une langue sobre et retenue. Le narrateur, confronté à
ses interlocuteurs ou à des photographies, sent vite ses mots lui échapper,
tout comme le passé ou comme la vie. Des pans entiers de la mémoire sombrent
dans l’oubli. Elle ressemble plus à un gouffre noir qu’à un ensemble de
sentiers à parcourir. Le narrateur teste les noms qu’on lui propose sans
reconnaître le sien, à chaque lieu se demande s’il est venu ou non, il lui
semble que non, il demande si on le reconnaît sur une photographie… Tout
disparaît.
J’avais lancé
« Freddie » d’une voix altérée, comme si c’était mon prénom que je
prononçais après des années d’oubli.
Il écarquillait les yeux.
- - Freddie…
À cet instant, j’ai vraiment cru
qu’il m’appelait par mon prénom.
- - Freddie ?
Mais il n’est plus là…
Non, il ne m’avait pas reconnu.
Personne ne me reconnaissait.
Un mot. Ces derniers temps, j’ai
entendu plusieurs personnes, aimant Modiano, essayer de parler de ses romans.
« Essayer », car il semble que tout amateur de Modiano se transforme
en petit Modiano bafouillant et hésitant, peinant à parler de sa lecture. Je
trouve cela touchant et remarquable.
C'est vrai qu'il est difficile de parler des romans de Modiano, parce que leur force tient dans une espèce d'alchimie subtile, et presque indéfinissable, entre des personnages qui semblent souvent détachés de tout, y compris d'eux-mêmes, et une mélancolie sourde. Et cette obsession des traces que laisse le passé est aussi assez particulière.. Je n'ai pas encore lu ce titre, mais c'est prévu, je ne suis qu'une "débutante" en Modiano, n'ayant lu que 3 titres de cet auteur, Dora Bruder étant à ce jour celui qui m'a le plus touchée
RépondreSupprimerC'était le premier que je lisais, mais j'ai aussi repéré Dora Bruder qui a l'air d'avoir marqué plusieurs personnes.
SupprimerJe suis d'accord avec toi, il est difficile de parler des romans de Modiano, j'ai peiné à le faire.
RépondreSupprimerAu vu de son actualité récente, je me suis trouvée plusieurs fois dans la situation d'entendre quelqu'un parler de ses romans et c'est vraiment frappant.
Supprimerje garde un bon souvenir de cette lecture également, tu as raison, il est difficile à mettre des mots sur les impressions laissées!
RépondreSupprimerOui, ça nous file entre les doigts.
SupprimerC'est vrai que ce n'est pas simple de parler de Modiano car on plonge dans un univers, une atmosphère et des thématiques qui passe sur nous en nous transportant dans le temps (ou pas pour ceux qui n'aiment pas ;-) J'ai vraiment bien aimé ce roman et aussi Dora Bruder.
RépondreSupprimerEt le terme le plus fréquent employé par les lecteurs est précisément "atmosphère". D'ailleurs Modiano fait partie des auteurs à avoir son adjectif, "modianesque", ce qui est rare et significatif.
SupprimerJe me joins aux autres pour te dire que t'as raison que c'est difficile de parler de ce genre de romans. J'ai adoré Dora Bruder que je viens de lire mais les défauts (si on peut parler de défauts) font références à ce que tu disais : " Je suis frappée par l’omniprésence des noms propres, noms de personnes, de rues, d’hôtel. Je m’y suis perdue, il est visible, si l’on peut dire, que Modiano tire sa poésie de la fréquentation des annuaires. " hihihi c'est exactement ça que je ressentais, de la poésie d'annuaires ! Bref, je crois que c'est un bon écrivain mais j'aurais donné le Nobel à Philip Roth ou Murakami 100 fois avant lui ; mais bon qui suis-je pour dire ça. ;))
RépondreSupprimerTu es un lecteur avec ta sensibilité !
SupprimerEn plus, quand on a un peu fait de la recherche ou lu des romans policiers, il est visible que ces noms propres sont là pour la sonorité et pas pour les informations qu'ils peuvent amener à la quête initiale.
J'ai eu peur de trahir le propos de l'auteur, en rédigeant ma chronique pour le blogoclub. Tu as raison , il y est difficile d'organiser sa pensée. Mon article est totalement déconstruit et part dans tous les sens. Mais je ne voyais pas comment le rédiger autrement. C'est la force de cet écrivain, d'être insaisissable.
RépondreSupprimerOui, il y a là une petite musique qui nous échappe.
SupprimerC'est vrai que l'on finit par bafouiller comme lui à force de le lire, ce que j'ai ressenti cette fois-ci... Dommage pour moi !
RépondreSupprimerLe bafouillement est un art subtil, ne pas en faire trop, ne pas en faire assez... au fil du rasoir.
SupprimerJ'aime beaucoup le dernier paragraphe de ton billet. Très touchant, je trouve.
RépondreSupprimerJ'ai entendu et vu des personnes très différentes adopter des attitudes très proches, et très modianesques.
SupprimerEssayer de parler de Modiano....bafouillant, moi aussi j'aime la fin de ton billet, et j'ai bien aimé le livre aussi, j'ai essayé de bafouiller aussi sur mon blog
RépondreSupprimerOn en est toutes et tous là !
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