La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 14 mai 2015

L’ombre est tout ce qui nous reste. Elle est ce que sont devenus les jours.

Léonora Miano, La Saison de l’ombre, 2013.

Un livre bouleversant et passionnant tout à la fois.
On est dans un village-clan d’Afrique, dans une région non précisée, à une époque que l’on devine ancienne, mais non indiquée. 12 hommes viennent de disparaître et leurs mères sont recluses à part – personne ne sait ce qu’il s’est passé. Puis le clan se délite et certains hommes et certaines femmes partis à la recherche des disparus apprennent des éléments tout à fait inimaginables.
Le lecteur, lui, sait de quoi il s’agit : ces hommes ont été raflés par un clan voisin pour être vendus. C’est la traite négrière déjà bien installée qui va chercher de plus en plus loin sur le continent sa chair humaine. L’originalité de ce roman est donc d’adopter le point de vue de ceux qui sont enlevés à leur famille et à leur clan et vendus à ces étrangers qui vivent sur l’océan. Ce point de vue de l’intérieur évite tout exotisme ou pittoresque. Les personnages vivent un drame personnel (la perte d’un fils ou d’un mari) et collectif (la destruction d’un clan et de sa culture). Toute la violence de l’événement est exprimée sans fard, mais sans voyeurisme, avec une simple brutalité et cependant une douceur permise par la force des rituels et la subsistance de l’espoir.

Masque miniature, réplique des grands masques en bois, Cameroun
population Bamileke, terre cuite, sd, Musée du quai Branly, RMN.
Quelles que soient les émotions qui s’agitent au fond des cœurs, on s’en arrangera. Dans l’intimité des cases, quand viendra le moment du repos, on implorera l’invisible pour qu’elles soient épargnées de ce qui a suscité le cri.

La langue est magnifique, tentant de faire sa place aux rêves et messages de l’esprit pour essayer de nous représenter un mode de vie et la catastrophe qui le détruit. La seule difficulté provient sans doute des noms des personnages, qui se ressemblent et entre lesquels il est difficile de se repérer.

Impossible de ne pas rapprocher cette lecture de celle du Rhinocéros d’or qui relate une période antérieure. Le clan imaginé par Miano n’entretient que peu de rapport avec ses voisins et ne prend pas place dans les grands circuits commerciaux analysés par Fauvelle. En revanche, la mythologie liée à l’eau et à l’océan dans les récits de fondation de clan est évoquée par l’historien.

Ce roman restitue une mémoire disparue et inhabituelle en effectuant un travail tout à la fois d’histoire et de mémoire, en réinventant la vérité d’un cataclysme qui n’a laissé que peu de traces et qui est envisagé en général du point de vue des européens, d’autant que l’esclavage intéresse plus que le moment de la capture.
La traite est la destruction d’individus et de peuples. Les hommes sont rasés, privés de leurs noms, de leurs amulettes et de leurs langues. Ce roman leur redonne une place dans l’histoire.

C’est d’être nommé qui fait exister ce qui vit. En énonçant le nom de son fils aîné, elle le ramène chez lui, y consolide sa présence.

L’avis de Jostein et celui de ClaraDes femmes écrivains.




6 commentaires:

Lili Galipette a dit…

Merci pour cette belle chronique, je note ce titre !

nathalie a dit…

Cela devrait te plaire.

Anis a dit…

Il est dans ma pile et attend sagement. Ce que tu en dis est tentant mais la lecture promet d'être difficile et bouleversante.

nathalie a dit…

Ah oui, c'est tout à fait ça, difficile et bouleversant.

Alex Mot-à-Mots a dit…

J'avais tenté de lire un de ses romans, mais il m'était tombé des mains à cause du style.

nathalie a dit…

Je connais quelqu'un d'autre qui a du mal à lire cet auteur à cause de la violence du récit. Il faut reconnaître que c'est une langue assez dure.