Edgar Hilsenrath, Le Nazi et le barbier, écrit en allemand
en 1971, première parution aux États-Unis en 1972, parution en Allemagne en
1977 et en 2010 en France (gloups) chez Attila, traduit de l’allemand par Jörg
Stickan et Sacha Zilberfarb.
Enfin ! Enfin lu ce livre
qui a donc attendu cinq ans sur les étagères. Une merveille (au goût
particulier).
Le narrateur est donc Max Schulz,
aryen, bâtard et génocidaire. Car le lecteur sait très vite de quoi il
retourne : Max Schulz, nazi, SS, personnel d’un camp de concentration,
échappe à la justice des vainqueurs en prenant la place d’Itzig, son ami
d’enfance, juif et tout ce qu’il y a de plus mort. Cette astuce le mènera jusqu’en
Israël, combattant de Tsahal.
Dans tes yeux, Max Schulz, il n’y a pas l’âme d’un peuple, qu’il soit juif, allemand ou autre. Des yeux de grenouille. Ni plus ni moins.
La très grande force de ce livre
est son humour, son cynisme et son immoralité authentique (on n’est pas dans
l’eau tiède). Schulz semble a priori
être un petit personnage médiocre trouvant sa voie dans le nazisme, mais il devient
plutôt un brillant opportunisme, prenant le sens du vent et filant sur les
crêtes. On n’est pas ici dans un polar où un tueur ferait tout pour se faire
discret. Schulz a à cœur de raconter ses aventures, ses astuces – la vie ne
serait pas drôle s’il fallait se cacher. Il se met en avant et devient le super
juif, le héros, le combattant, le pionnier. Il fait partie de ces héros
picaresques qui retombent toujours sur leurs pattes et qui repartent toute
honte bue toujours en avant. À noter sa sincérité. Schulz n’est pas dans le
calcul quand il se bat pour la naissance de l’état d’Israël, il s’engage
passionnément dans sa nouvelle identité. Parce que ce roman est un hymne à la
vie qui jamais ne s’arrête, même après l’Holocauste. Max Schulz est libre et il
en jouit.
Chagall, Le Juif en noir et blanc, 1914, Kunstmuseum Basel, M&M |
J’étais avide de tout voir. Je crois que quiconque vient ici pour la première fois est avide de tout voir, surtout s’il est juif, et encore plus s’il est un ancien nazi comme moi. Et s’il est les deux à la fois, comme moi, alors deux yeux ne suffisent pas.
La mort ne peut aller sans le
sexe et le roman raconte aussi le viol d’un bébé qui n’en souffre pas, le
marchandage du sexe contre des boîtes de conserve, un ancien SS devenu esclave
sexuel d’une vieille sorcière, etc.
Rien n’est sacré sous la plume
d’Hilsenrath : que ce soit le sang aryen, Hitler en nouveau Jésus, la
Shoah, l’état d’Israël, la circoncision, les sociétés protectrices des animaux…
tout passe au crible de son humour, d’un renversement des valeurs. Il se moque
des préjugés et des certitudes, des discours ronflants et des identités établies,
écornant sans retenue les problèmes de conscience et la morale – surtout la
bonne. Ce roman ressemble volontiers à une danse macabre où le SS donne la main
à ses victimes pour une ronde endiablée.
Il est le seul survivant d’une
famille de sept personnes. Il s’imagine que les sbires d’Adolf Hitler ont
transformé sa femme et ses cinq enfants en savonnettes. En tant que barbier,
j’aurais aimé lui poser la question : quelle sorte de savon ? Il y en
a de toutes sortes, c’est bien connu. Mais j’ai cru bon de me taire.
J'ai vu une mise ne scène de ce roman, avec un homme seul sur scène, c'était magistral.
RépondreSupprimerHilsenrath est un génie sombre !
Un génie flamboyant, oui !
SupprimerIl faut que je lise ce roman car ce genre d'humour me convient tout à fait. Je te conseille "Mon Holocauste" de Tova Reich, très grinçant aussi.
RépondreSupprimerJ'en ai entendu parler, je me demande si c'est aussi percutant.
Supprimerj'ai toujours un moment d'aprréhension
RépondreSupprimerCe n'est pas un sujet facile, mais il est traité de façon magistrale (même si évidemment ce type d'humour est extrêmement particulier).
SupprimerUne lecture intelligente dont je me souviens encore.
RépondreSupprimerÇa ne ressemble à rien d'autre, c'est en effet très frappant.
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