Laura Esquivel, Chocolat amer, traduit du mexicain par
Eduardo Jiménez et Jacques Rémy-Zéphir, parution originale 1989.
Le sous-titre « Roman
feuilleton où l’on trouvera des recettes, des histoires d’amour et des remèdes
de bonne femme » est un peu réducteur et ne rend pas compte de
l’atmosphère de merveilleux du roman, mais sinon c’est ça.
Tita est la petite dernière d’une
famille vivant dans une ferme du Mexique au début du XXe siècle.
Selon la tradition, elle ne doit pas se marier pour s’occuper de sa vie durant
de sa vieille mère. Problème : il y a l’amour de Pedro. Heureusement, il y
a la cuisine.
Tita sentit dans sa propre chair pourquoi le contact du feu transforme les éléments, pourquoi un morceau de pâte devient une galette, pourquoi une poitrine non exposée au feu de l’amour est inerte, une boule de pâte sans utilité.
Tita est née dans la cuisine. Les
plats qu’elle confectionne avec soin et patience imprègnent les grands et
petits événements de sa vie et vice-versa pourrait-on dire, car des larmes
tombées dans un gâteau peuvent changer tout un repas. Le roman s’organise
autour de recettes phares, dont certaines sont applicables (d’autres pas du
tout). De toute façon, on se sert des ingrédients, mais on cuisine avec le
sentiment (pour paraphraser Jean-Baptiste Chardin). C’est la rage, le
désespoir, l’amour passion, le chagrin qui vont faire de chacune des ces
préparations des mets extraordinaires. Le roman raconte l’histoire de Tita et
de ses amours, mais aussi celle d’une famille et de ses filles au destin si
particulier, celle d’un livre de recettes transmis de génération en génération.
Il ne s’agit pas uniquement de
cuisine d’ailleurs, mais de diverses préparations (de potions, d’emplâtres,
d’encre dorée) dont la recette entre dans la confection du roman. L’auteur
s’attache au nom des poudres, plantes, viandes, aux gestes mystérieux, au
vocabulaire de la cuisine, bien souvent ésotérique pour ceux qui n’y
connaissent rien. Ces opérations par lesquelles des objets inanimés deviennent
vivants, avec des odeurs et des saveurs qui nous évoquent un monde, une
enfance, nous rassurent, nous donnent des envies.
Sur cette trame de
roman-feuilleton bateau se greffent donc les couleurs du conte et les odeurs de
la cuisine, c’est une belle lecture pour garder la tête dans les rêves.
Elle tourna la tête et ses yeux
croisèrent ceux de Pedro. Elle comprit ce que ressentait un beignet au contact
de l’huile bouillante. La chaleur qui envahit son corps était telle que Tita,
de crainte que des cloques surgissent partout – sur son visage, son ventre, son
cœur et ses seins –, baissa les yeux et traversa rapidement le salon jusqu’au
coin opposé où Gertrudis pédalait la valse Ojos
de juventud sur le piano mécanique.
J'avais beaucoup apprécié cette lecture décalée !
RépondreSupprimerMoi aussi, ça change vraiment.
Supprimerje l'ai découvert à l'occasion d'une lecture commune, tout au début de mon aventure bloguesque... un bon souvenir, avec sa part de réalisme magique.
RépondreSupprimerOui, c'est une lecture très agréable.
SupprimerAs-tu lu "Le coeur cousu" de Carole Martinez ? On retrouve l'univers un peu magique de "Chocolat Amer", mais autour de la couture...
RépondreSupprimerJe n'ai lu qu'un seul livre de Martinez, mais pas celui-ci (d'ailleurs je n'avais pas fait le lien avec la couture). Il faudra que je me le procure un jour ou l'autre !
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