La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 26 janvier 2016

Sa colère agissait comme la levure sur la pâte à pain.

Laura Esquivel, Chocolat amer, traduit du mexicain par Eduardo Jiménez et Jacques Rémy-Zéphir, parution originale 1989.

Le sous-titre « Roman feuilleton où l’on trouvera des recettes, des histoires d’amour et des remèdes de bonne femme » est un peu réducteur et ne rend pas compte de l’atmosphère de merveilleux du roman, mais sinon c’est ça.

Tita est la petite dernière d’une famille vivant dans une ferme du Mexique au début du XXe siècle. Selon la tradition, elle ne doit pas se marier pour s’occuper de sa vie durant de sa vieille mère. Problème : il y a l’amour de Pedro. Heureusement, il y a la cuisine.

Tita sentit dans sa propre chair pourquoi le contact du feu transforme les éléments, pourquoi un morceau de pâte devient une galette, pourquoi une poitrine non exposée au feu de l’amour est inerte, une boule de pâte sans utilité.

Tita est née dans la cuisine. Les plats qu’elle confectionne avec soin et patience imprègnent les grands et petits événements de sa vie et vice-versa pourrait-on dire, car des larmes tombées dans un gâteau peuvent changer tout un repas. Le roman s’organise autour de recettes phares, dont certaines sont applicables (d’autres pas du tout). De toute façon, on se sert des ingrédients, mais on cuisine avec le sentiment (pour paraphraser Jean-Baptiste Chardin). C’est la rage, le désespoir, l’amour passion, le chagrin qui vont faire de chacune des ces préparations des mets extraordinaires. Le roman raconte l’histoire de Tita et de ses amours, mais aussi celle d’une famille et de ses filles au destin si particulier, celle d’un livre de recettes transmis de génération en génération.
Gisèle Freund, Femme égrenant du maïs, 1952, IMEC, RMN.
Il ne s’agit pas uniquement de cuisine d’ailleurs, mais de diverses préparations (de potions, d’emplâtres, d’encre dorée) dont la recette entre dans la confection du roman. L’auteur s’attache au nom des poudres, plantes, viandes, aux gestes mystérieux, au vocabulaire de la cuisine, bien souvent ésotérique pour ceux qui n’y connaissent rien. Ces opérations par lesquelles des objets inanimés deviennent vivants, avec des odeurs et des saveurs qui nous évoquent un monde, une enfance, nous rassurent, nous donnent des envies.
Sur cette trame de roman-feuilleton bateau se greffent donc les couleurs du conte et les odeurs de la cuisine, c’est une belle lecture pour garder la tête dans les rêves.

Elle tourna la tête et ses yeux croisèrent ceux de Pedro. Elle comprit ce que ressentait un beignet au contact de l’huile bouillante. La chaleur qui envahit son corps était telle que Tita, de crainte que des cloques surgissent partout – sur son visage, son ventre, son cœur et ses seins –, baissa les yeux et traversa rapidement le salon jusqu’au coin opposé où Gertrudis pédalait la valse Ojos de juventud sur le piano mécanique.

Les avis de Miss G, de La petite marchande de prose et d'Alfie.




6 commentaires:

Hélène a dit…

J'avais beaucoup apprécié cette lecture décalée !

nathalie a dit…

Moi aussi, ça change vraiment.

Kathel a dit…

je l'ai découvert à l'occasion d'une lecture commune, tout au début de mon aventure bloguesque... un bon souvenir, avec sa part de réalisme magique.

nathalie a dit…

Oui, c'est une lecture très agréable.

Miss Alfie a dit…

As-tu lu "Le coeur cousu" de Carole Martinez ? On retrouve l'univers un peu magique de "Chocolat Amer", mais autour de la couture...

nathalie a dit…

Je n'ai lu qu'un seul livre de Martinez, mais pas celui-ci (d'ailleurs je n'avais pas fait le lien avec la couture). Il faudra que je me le procure un jour ou l'autre !