La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 29 février 2016

La matinée, humide et brumeuse, s’étirait nonchalamment.

Kjell Westö, Un mirage finlandais, traduit du suédois par Jean-Bapise Coursaud, publication originale en 2013, édité en France chez Autrement.

Un très gros et très bon roman.

Nous sommes à Helsinki en 1938 et nous suivons deux personnages, Matilda secrétaire dactylographe et son patron, l’avocat Thune. Ce dernier est plutôt un humaniste, se remet difficilement de son divorce et comprend mal la fascination que plusieurs de ses compatriotes éprouvent pour Hitler. Matilda oscille entre sa vie présente, un peu vide, et les souvenirs douloureux de son passé. Un soir, alors que Thune reçoit ses amis, elle reconnaît la voix d’un homme qui l’a fait souffrir dans des circonstances particulières. Le lecteur ne saura pas le nom de cet homme, mais ses soupçons se portent sur un ou deux personnages, ce qui augmente singulièrement le climat d’angoisse du roman. Nous suivons donc le cours des événements jusqu’à leur dénouement qui ne peut être que dramatique.
Ce roman est très ancré dans l’histoire finlandaise. Si vous n’y connaissez pas grand-chose, il faut peut-être lire d’abord la postface à l’édition française. La Finlande a conquis son indépendance en 1917 en luttant contre la Russie, au cours d’une guerre civile entre Rouges et Blancs. Il est question de massacres et de camps d’internement – voilà ce qu’a subi Matilda. La jeune Finlande craint l’URSS, ce qui explique son alliance avec l’Allemagne pendant la Seconde guerre mondiale.
On est aussi parmi l’élite suédophone. Thune fréquente des médecins, des diplomates, des musiciens. Le territoire de la Finlande a appartenu pendant des siècles à la Suède et ce sont ces suédophones qui ont construit le pays (voir Gallen-Kallela) et l’on mené à l’indépendance. Plusieurs personnages du roman méprisent la populace parlant finnois. Le livre rend donc parfaitement les conflits de classe, de langue, de culture qui agitent la petite Helsinki.
 
La statue de Mannerheim à Helsinki, le héros de la guerre civile.
Le roman est remarquablement documenté, puisque des événements politiques, culturels et sportifs scandent l’été 1938, chacun révélant un lent basculement politique. Il est question de films, de musiques, de chansons à la mode, des jeux olympiques.
Mais les personnages principaux ne sont pas des marionnettes au service d’un récit historique. Le lecteur s’attache à eux et à leur mal-être. Il suit la venue du printemps, l’été écrasant de chaleur et l’arrivée de l’automne grisâtre en lien avec leurs émotions. Si le roman est aussi long, c’est à cause du soin pris à l’évocation des lieux, des temps, de la météo, des détails qui ont de l’importance. La tension monte, à la fois pour Matilda et son ancien persécuteur, pour Thune qui affronte les opinions politiques de ses contemporains et pour le monde qui se dirige avec certitude vers la guerre.

Thune lui trouvait une ressemblance avec un vieux héron cendré, une créature soumise, aux antipodes du jeune artiste qu’il avait été dix ans plus tôt, admiré et adoré mais aussi détesté par tant de gens, si volubile et excessif qu’il prenait souvent davantage de place que son entourage ne le pouvait vraiment supporter – et peut-être un peu plus de place qu’il ne le supportait lui-même ? Était-ce pour cette raison que son chemin l’avait mené ici, dans le couloir baigné de lumière de la clinique psychiatrique de Kopparbäck ? Était-ce à cause de cela que Jary, en l’espace seulement d’une décennie, s’était transformé d’oiseau rare en volatile aux ailes cassées ?

Un auteur dont je lirai avec plaisir les autres titres.

 Suomi. Lire le monde pour la Finlande.


Merci aux éditions Autrement et à Babelio pour cette lecture.

2 commentaires:

maggie a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
nathalie a dit…

Maggie je suis désolée, j'ai supprimé ton commentaire par erreur, alors que je suis totalement de ton avis... La honte.