Alejo Carpentier, Concierto barroco, parution originale
1974, édition bilingue, traduction de René L. F. Durand.
Un roman plein de musique.
Au début du récit, soit au début
du XVIIIe siècle, celui que l’on appelle « le maître »
fait ses bagages. Ce très riche habitant du Mexique, fils et petit-fils
d’Espagnols, va entreprendre le voyage d’Europe pour découvrir les riches
courtisanes vénitiennes, acheter des partitions de musique à la mode et éblouir
le Vieux monde avec sa fortune. Il part, accompagné du nègre de Cuba, Filomeno.
La pauvre et provinciale Espagne
le déçoit, il se dirige donc bien vite vers Venise, alors en plein carnaval.
Déguisé en Moctezuma (l’empereur aztèque contemporain du début de la conquête
espagnole) et accompagné de Filomeno, il passe une folle nuit en compagnie
d’Haendel, de Vivaldi et de Scarlati. Ils se rendent dans un couvent pour jouer
une symphonie magique et danser une farandole, mangent au petit matin dans un
cimetière où repose Stravinski et rentrent se coucher, en croisant le cercueil
de Wagner qui vient de mourir. Oui, les époques se mêlent.
Subió el Maestro al podium, agarró un violín, alzó el arco, y, con dos gestos enérgicos, desencadenó el más tremendo concerto grosso que pudieron haber escuchado los siglos – aunque los siglos no recordaron nada, y es lástima porque aquello era tan digno de oírse como de verse…
Le Maître monta sur le podium, saisit un violon, leva l’archet, et, avec deux gestes énergiques, déchaîna le plus extraordinaire concerto grosso qu’aient jamais pu écouter les siècle – bien que les siècles ne se souviennent de rien, et c’est dommage parce que celui-ci était aussi digne de s’entendre comme de se voir.
Canaletto, Caprice avec une tombe près de la lagune, vers 1760-65, Musée des Offices, M&M |
À la fin du livre, il prend le
train, quitte Venise avant de rentrer chez lui, en Amérique, avec les
partitions du Messie de Haendel et
des Quatre saisons de Vivaldi en
poche, tandis que Filomeno assiste, émerveillé, à un concert de Louis
Armstrong.
Quedas bien acompañado : la trompeta es activa y resuelta. Instrumento de malas pulgas y palabras mayores.
Tu es en bonne compagnie : la trompette est pleine d’entrain et d’énergie. C’est un instrument d’humeurs ombrageuses et qui dit des gros mots.
C’est un roman très documenté. Les
notes de bas de page permettent de repérer les allusions aux récits de voyage du
XVIIIe siècle et à divers ouvrages anciens. La grandiloquence du ton
s’allie à l’humour ou à la vulgarité de certaines précisions, de même que
l’orgue d’Haendel est accompagné par les rythmes de la batterie de cuisine
maniée avec énergie par Filomeno. C’est aussi un bel hommage à Venise, ville de
rêve, dont les contours se brouillent dans la brume, condamnée à disparaître. Les
machinistes des opéras vénitiens sont ainsi les meilleurs du monde et reconstituent
une bataille navale à volonté. Tout ne pourrait être qu’illusion. D'ailleurs, il y a plein d'allusion à Hamlet.
Canaletto, Venise San Pietro di Castello, 1736-1738, National Gallery de Londres, M&M |
J’ai lu ce livre en espagnol
(plus exactement dans une édition bilingue). C’est une langue difficile, avec
beaucoup d’inversions, de termes rares, de phrases très longues – mon prof d’espagnol
m’a dit que Carpentier a eu l’ambition de créer une nouvelle langue espagnole,
loin de l’Espagne. Mais je devine une profonde adéquation entre ce style chargé
et le propos du roman.
En gris de agua y cielos
aneblados, a pesar de la suavidad de aquel invierno ; bajo la grisura de
nubes matizadas de sepia cuando se pintaban, abajo, sobre las anhas, blandas,
redondeadas ondulaciones – emperezadas en sus mecimientos sin espuma – que se
abrían ou se entremeszclaban al ser devueltas de una orilla a otra ...
En un gris d’eau et de ciels
embrumés, malgré la suavité de cet hiver-là ; sous la grisaille de nuages
teintés de sépia quand ils se reflétaient, en bas, sur les ondulations larges,
molles et arrondies – alanguies dans leurs flux et reflux sans écume – qui
s’ouvraient ou se mélangeaient en allant d’une rive à l’autre ...
Merci Estelle pour m’avoir offert
ce livre il y a très longtemps, j’ai attendu d’avoir un niveau d’espagnol un
peu suffisant pour le lire !
Je compte continuer ma découverte
de cet auteur. Jimmy m’a d’ailleurs donné envie de lire Le Siècle des lumières.
Bon pour le challenge Amérique latine d’Eimelle.
je n'en avais pas entendu parler! Merci !
RépondreSupprimerPas un auteur très connu, il faut bien dire.
Supprimer"C’est un livre plein"
RépondreSupprimerC'est ce que j'avais ressenti à l'époque très lointaine où je l'ai lu. Ce grand baroque m'avait fatigué. J'avais lu aussi Guerre du temps et autres nouvelles. En général je ne mords pas trop à la littérature d'Amérique Latine.
Je comprends parfaitement que ce style ne soit pas très apprécié. Pour ma part, je trouve que la langue est parfaitement en accord avec le propos et le récit, donc ça me va.
Supprimeren version, à la fac, les textes de Carpentier n'étaient pas si difficiles (on avait fait le siècle des Lumières). Je note l'édition bilingue car le sujet m'intéresse.
RépondreSupprimerSoit mon espagnol est moyen (plus que probable) soit ce livre est plus difficile... mais c'est un auteur vraiment très intéressant.
Supprimer