Julian Barnes, La Table citron, traduit de l’anglais
par Jean-Pierre Aoustin, parution originale en 2004.
Un savoureux recueil de
nouvelles.
Barnes
explore avec talent et subtilité le difficile récit du passage du temps et du
vieillissement (ne les lisez donc pas toutes d’affilée, c’est un peu
déprimant). La première nouvelle raconte les visites
d’un certain Gregory chez le coiffeur, depuis son enfance jusqu’au moment où il
a l’âge d’être grand-père. L’amusant est qu’il donne une version tout à fait
paranoïaque du coiffeur, cet être à la sexualité incertaine, à la conversation
dangereuse et affublé d’instruments coupants et tranchants. Une nouvelle
raconte les déchirements d’un couple âgé de 80 ans sous les yeux effarés de
leur fils qui ne sait plus quoi penser de ses parents. Barnes se glisse
également auprès de Tourgueniev et d’un chef d’orchestre. Une nouvelle très amusante porte sur la plaie des gens qui toussent pendant les concerts de musique classique.
C’étaient les choses qui vous faisaient tressaillir chaque fois. Mais il y avait aussi là quelque chose de plus inquiétant. Il soupçonnait que c’était indécent. Ce que vous ne saviez pas, ou étiez censé ignorer, se révélait généralement indécent. L’enseigne de coiffeur, par exemple. C’était manifestement indécent. Là où il allait avant, ce n’était qu’un vieux cylindre en bois peint, orné de spirales de différentes couleurs. Celle-ci était électrique et tournait sans cesse avec ses spirales. C’était plus indécent, à son avis.
G. Brown, Suffer well, 2007, Moscou VAC collection, M&M. |
La déconfiture physique et
mentale de l’être humain, avec le déclin presque nécessaire de la société, est racontée
avec humour et subtilité, cruauté et affection, car tous ces êtres sont pleins
de contradictions intimes que personne ne perçoit. La sexualité est évoquée avec
crudité et réalisme, ainsi que les besoins du corps. C'est un ton souvent doux amer qui évoque de petites existences ordinaires avec
les remous extraordinaires des émotions et des souvenirs.
Elle n’était pas préparée à une
souffrance permanente, silencieuse, secrète. Une année, quand la confiture de
sa sœur arriva, elle regarda un des pots, le verre, le couvercle métallique, le
cercle de mousseline, les mots écrits à la main sur l’étiquette, la date – la
date ! – et le contenu lui-même, la confiture jaune, et elle pensa :
c’est ce que j’ai fait à mon cœur. Et chaque année, quand les pots arrivèrent
du Nord, elle pensa la même chose.
Oui, les gens qui toussent... ^_^J'aime beaucoup Barnes en général.
RépondreSupprimerJ'avoue que c'est le seul que j'ai lu.
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