Catherine Poulain, Le grand marin, 2016.
Partir pêcher en Alaska - partir au bout du monde, mais partir !
La narratrice, Lili, est un petit bout de bonne femme
venue de Provence pour pêcher en Alaska. Elle se trouve un bateau, le Rebel, et un équipage de gros gars
costauds pour pêcher d'abord la morue, puis le flétan. Elle est habitée par cette
folie « pêcher en Alaska » et nous découvrons avec elle tout un
monde. Des hommes terribles, habitués à cette vie où on dort peu, la
promiscuité, le travail dur jour et nuit au milieu d'une mer glacée, la voilà
obligée de faire ses preuves.
À terre ce n'est guère mieux. De bar en bar, avec des
hommes qui errent entre deux contrats sans maison, vivants dans des refuges,
sur des bateaux. Aucun n'a de vie de stable et l'alcool les bouffe tous, quand
ce n'est pas la drogue. Mais ce qui compte, c'est le truc à l'intérieur du ventre qui fait partir, ne jamais s'attacher, qui fait décamper, même si on doit y laisser sa peau.
Les hommes hurlent dans un fracas de catastrophe. Jude se tient devant les flots bouillonnants, campé sur ses cuisses drues, reins bandés, le corps tout entier tendu vers l'urgence, la mâchoire dure, serrée, regard fixé sur la ligne qui se déroule, bête folle, monstre marin hérissé de milliers d'hameçons.
Sandham, Le Phare du port de Saint-John, 1879, Ottawa, musée des Beaux-Arts, M&M. |
Poulain écrit dans une langue très simple – certains
passages sont mêmes mal écrits – très orale, mais pleine de vie, de vigueur et
non dépourvue de puissance. Elle raconte une expérience violente, intense,
entre les accidents de pêche et les rencontres amoureuses, les humiliations et
les ivresses, la faim et le froid. La langue est abrupte, le récit est mené au
présent, il est très rapide, on le lit comme en courant et il nous laisse essoufflé.
La narratrice, une petite femme dans un monde d'hommes, semble mêler passion et
naïveté, comme une enfant ou comme quelqu'un qui connaît déjà la vie depuis
longtemps.
Ça ne donne pas envie de manger du poisson.
Nous ne quitterons plus l'océan. Nous travaillerons
ensemble dans le froid, le vent et le souffle éperdu des vagues, moi entre ces
deux hommes, le grand gars maigre - et Jude, l'homme-lion, le grand marin que
je regarderai exister et pêcher sans jamais me mettre sur son chemin surtout,
sans jamais désirer plus que ces silences ensemble, quelquefois, face à l'océan
qui avance.
Merci Magali pour la lecture.
L'avis de Clara et de Lili Galipette qui en parlent toutes les deux bien mieux que moi.
Ce texte m'a énormément secouée ! :)
RépondreSupprimerJ'ai vu ça. Je ne pense pas qu'il m'ait fait un tel effet même si le ton des dernières pages est assez angoissant. J'ai surtout été saisie par le rythme de l'écriture, comme une course contre le temps.
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