La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mercredi 17 août 2016

Il faudrait toujours être en route pour l'Alaska.


Catherine Poulain, Le grand marin, 2016.

Partir pêcher en Alaska - partir au bout du monde, mais partir !

La narratrice, Lili, est un petit bout de bonne femme venue de Provence pour pêcher en Alaska. Elle se trouve un bateau, le Rebel, et un équipage de gros gars costauds pour pêcher d'abord la morue, puis le flétan. Elle est habitée par cette folie « pêcher en Alaska » et nous découvrons avec elle tout un monde. Des hommes terribles, habitués à cette vie où on dort peu, la promiscuité, le travail dur jour et nuit au milieu d'une mer glacée, la voilà obligée de faire ses preuves.
À terre ce n'est guère mieux. De bar en bar, avec des hommes qui errent entre deux contrats sans maison, vivants dans des refuges, sur des bateaux. Aucun n'a de vie de stable et l'alcool les bouffe tous, quand ce n'est pas la drogue. Mais ce qui compte, c'est le truc à l'intérieur du ventre qui fait partir, ne jamais s'attacher, qui fait décamper, même si on doit y laisser sa peau.

Les hommes hurlent dans un fracas de catastrophe. Jude se tient devant les flots bouillonnants, campé sur ses cuisses drues, reins bandés, le corps tout entier tendu vers l'urgence, la mâchoire dure, serrée, regard fixé sur la ligne qui se déroule, bête folle, monstre marin hérissé de milliers d'hameçons.

Sandham, Le Phare du port de Saint-John, 1879, Ottawa, musée des Beaux-Arts, M&M.
Poulain écrit dans une langue très simple – certains passages sont mêmes mal écrits – très orale, mais pleine de vie, de vigueur et non dépourvue de puissance. Elle raconte une expérience violente, intense, entre les accidents de pêche et les rencontres amoureuses, les humiliations et les ivresses, la faim et le froid. La langue est abrupte, le récit est mené au présent, il est très rapide, on le lit comme en courant et il nous laisse essoufflé. La narratrice, une petite femme dans un monde d'hommes, semble mêler passion et naïveté, comme une enfant ou comme quelqu'un qui connaît déjà la vie depuis longtemps.
Ça ne donne pas envie de manger du poisson.

Nous ne quitterons plus l'océan. Nous travaillerons ensemble dans le froid, le vent et le souffle éperdu des vagues, moi entre ces deux hommes, le grand gars maigre - et Jude, l'homme-lion, le grand marin que je regarderai exister et pêcher sans jamais me mettre sur son chemin surtout, sans jamais désirer plus que ces silences ensemble, quelquefois, face à l'océan qui avance.
  
Merci Magali pour la lecture. 
Destination PAL  (hors programme) – La liste des lectures de l’été.
L'avis de Clara et de Lili Galipette qui en parlent toutes les deux bien mieux que moi.

2 commentaires:

Lili Galipette a dit…

Ce texte m'a énormément secouée ! :)

nathalie a dit…

J'ai vu ça. Je ne pense pas qu'il m'ait fait un tel effet même si le ton des dernières pages est assez angoissant. J'ai surtout été saisie par le rythme de l'écriture, comme une course contre le temps.