Jean-François Beauchemin, Le Jour des corneilles, parution
originale 2004.
Un roman mystérieux.
Un homme accusé par un tribunal
raconte sa vie dans un court récit (150 pages). Une vie étrange, vécue dans une
cabane au fond des bois, avec un père plein de lubie et de folie, souvent
maltraitant. Pas question de s’approcher du village. Il faut chasser, dépecer
les peaux pour se vêtir, récolter les herbes pour se soigner, faire des
réserves d’eau et de bois. Le père est de temps à autre visité par « ses
gens » ce qui l’entraîne à véritablement torturer son fils. Celui-ci au
fur et à mesure qu’il grandit réalise qu’il peut voir les morts, qui ne lui
font pas du tout peur, et se demande de plus en plus si ce père étrange l’aime
réellement. Où est le siège de son sentiment ?
Père m’aimait-il ? Rien ne me le laissait concevoir. Il me rossait. Il me soumettait à des enfermements prolongés dans la cabane. Il me forçait au labeur le plus ingrat, sous climats de pluie ou de froid extraordinaires. Il m’extrayait du roupil dès l’aube avec grandes criailleries, ne m’abandonnait jamais au repos avant l’apparition de la première étoile du soir. Il me ravitaillait d’insectes grouillants, de pitances faisandées, m’empêchait de revigorer le capiton de ma paillasse.
Le fils, d’abord garçon puis
homme, semble envoûté aussi bien par son père, par sa mère morte et peut-être
par la forêt tout autour. Ils sont vêtus de peaux de bêtes – j’ai beaucoup aimé
l’énumération des « accoutres » : Nos cache-esgourdes,
excuse-train, mitaines, godillots-de-poil, tapisse-parties, escorte-blair et
pousse-cuisses habituels menaçaient d’usure.
Brandtner, Arbres, 1939, musée des Beaux-arts de Montréal, M&M |
Car le point fort du roman réside
dans sa langue : l’homme se sert de très vieux mots, qui peut-être même
n’existent plus, comme s’il parlait une langue de sorciers. Cette langue est
prodigieusement poétique, elle mêle les noms rares et étranges des plantes. On
ne sait pas trop quels mots pourraient bien encore exister et quels sont ceux
qui sont inventés.
Un oiseau trilla. Une vipère glissa entre les lycopodes. Puis les cieux quittèrent pour de bon leur accoutre de nuit, et le soleil coupa, du tranchant de ses rayons obliques, la forêt de l’à l’entour.
J’ai lu ce roman quelques mois
après La petite fille qui aimait trop les
allumettes de Gaétan Soucy (mais le billet n’est pas encore paru). La
parenté me semble évidente, même si ces deux romans sont tout de même bien
différents, que ce soit dans le rôle assigné au père ou au village, ou même
dans la langue qui est choisie puisque le narrateur du roman de Soucy a un
usage inadéquat de mots communs, alors que celui de Beauchemin emploie des
termes que l’on n’a jamais vus. Les deux représentent néanmoins le portrait
d’existences confinées dans la forêt où la langue et la littérature sont tout
un monde. Le narrateur de Beauchemin explique d’ailleurs quelle importance ont
les mots pour lui. Tout cela est plein de beauté, la langue peint un monde enchanté alors que le récit raconte une histoire triste et tragique.
Et toujours des saisons
paraissaient, s’établissaient puis repliaient, abandonnant à la forêt leurs
pluies, leurs bêtes nouvelles, leurs sociétés d’oiseaux, leurs brigades de
tanières, leurs branches engrossées. Par printemps, l’air s’échauffait et
gonflait de sève arbres et boqueteaux. En arrière-saison, les cieux ornaient le
monde du rideau souple des averses. Ramures saignaient puis lâchaient leur cargaison
de feuilles comme pages déchirées.
Un lire à relire !
ADDENDUM DE JUILLET 2024
Et bien, je l'ai relu. Enfin, j'ai essayé. Cela me tombe des mains. Au vu de mon précédent enthousiasme, je tiens bon, mais ça ne marche pas. Artificiel, lourd, je soupire... j'arrête. Finalement, ce n'est pas un livre à relire.
Destination PAL – La liste des lectures de l’été.
J'avais beaucoup aimé ce petit bouquin, sa belle langue combinée à la violence de la vie du narrateur et l'ambiance légèrement fantastique. A relire en effet, je le garde celui là :)
RépondreSupprimerC'est exactement ça en effet.
SupprimerJe suis dans une phase québecoise/canadienne et ce livre me tente depuis longtemps ainsi que Gaétan Soucy...
RépondreSupprimerJ'aurais même cru que tu les avais déjà lu pour te dire comme cela pourrait sans doute te plaire.
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