La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 25 octobre 2016

Toute langue est un traquenard pour la pensée.

Dino Buzzati, L’Image de pierre, traduit de l’italien par Michel Breitman, parution originale 1959.

Une fable sur la science.

Un professeur d’électronique se voit proposer une mission ultra secrète par le ministère de la Défense. Tellement secrète qu’on ne lui dit pas de quoi il s’agit. Il accepte pourtant et c’est le début d’un long voyage en voiture vers la montagne pendant lequel sa femme et lui essaient de deviner de quoi il s’agit, à partir des rumeurs transmises par les militaires chargés de les conduire. Une fois sur place, en compagnie de deux autres savants, ils comprennent…
C’est une fable où la science a tout pouvoir. Des ingénieurs ont créé… quelque chose que je ne vous dévoilerai pas… à la limite de l’éthique, trichant quelque peu avec les attendus strictement militaires du projet. Ils affrontent Dieu et commettent bien sûr le pêché d’hybris, mais font face surtout à leurs faibles sentiments humains, incapables de résister à l’amour, à la beauté et à la puissance de la mort.
C’est un livre court qui se lit rapidement. Un climat très étrange s’installe rapidement, confinant à l’absurde. On est dans un univers clos et fantastique, mais la machine dont il est question ne relève pas que de la technique, elle est désespérément pleine d’humanité. Pas ici de monstre froid ou de scientifique sans âme, tout ce petit univers est au contraire plein de vie et de désirs.
Une lecture étonnante.
A. Magnelli, Pierres n° 2, 1932, Musée des beaux-arts de Marseille, M&M
 De fait, en prêtant davantage attention, on pouvait entendre, venu de l’autre côté du mur blanc, une sorte de brouhaha ample et profond bien qu’à peine perceptible, semblable à la rumeur intactile des fourmis quand, leur habitation découverte et détruite, elles en sortent par milliers et s’enfuient comme des folles dans les décombres. Un murmure, un soupir sans fin d’où émergeaient parfois de petits sons irréguliers, de lointains bruissements, des gargouillements, des sanglots bien rythmés, mais si faibles qu’il demeurait impossible de dire s’ils existaient vraiment ou si ce n’était pas tout simplement le sang qui vous battait aux tempes.

Buzzati sur le blog : Le K, recueil de nouvelles et Montagnes de verre, recueil de textes sur la montagne et l'alpinisme.



2 commentaires:

eeguab a dit…

Je salue comme il se doit cet article sur mon écrivain préféré. J'ai lu L'image de pierre, et aussi Le K et aussi Montagnes de verre.

nathalie a dit…

J'avais beaucoup aimé Montagnes de verre, alors que certaines nouvelles du K m'avaient mise franchement mal à l'aise.