Éric Vuillard, 14 juillet, 2016.
Quand le peuple prend la
Bastille…
Vuillard choisit de raconter le
14 juillet 1789 en s’attachant autant que possible à tous ceux qui compose
le peuple de ce jour-là : leur nom, leur provenance, leur métier, leur
moindre caractéristique. Il raconte l’événement de leur point de vue à eux
(enfin, il essaie) et non depuis un livre d’histoire politique : quel
temps faisait-il ? Avaient-ils mangé ? Et leurs blessures ? Et
leur peur de la police ? Et les rumeurs ?
À l’issue de ma lecture, je suis
mitigée. Tout d’abord, le projet me plaît beaucoup. Donner le souffle du roman
aux petites gens et aux oubliés, pour un événement d’une telle envergure, c’est
oui. D’autant qu’il est impossible de dire de quoi est fait le peuple ou qui
compose une foule. Et Vuillard parvient bien à en rendre la diversité, la
complexité, la variété des émotions. Il est obligé de reconstruire et
d’imaginer, bien sûr, mais ce pari est plutôt réussi. L'auteur a la volonté touchante de vouloir tracer le destin et la vie de ces centaines ou milliers petits héros du jour, depuis leur province natale, jusqu’à leur mort, à travers toute la Révolution pour certains d’entre eux, ou, pour la plupart, simplement pour quelques heures, car on ne sait pas grand-chose de ces gens-là. Il a l'ambition de faire l’histoire des silhouettes, de la masse, du nombre, de ceux qui sont un simple nom propre mal orthographié dans un acte d’archive de police et qui ici, l’espace d’une ou deux phrases, prennent vie.
Qu’est-ce que c’est, une foule ? Personne ne veut le dire. Une mauvaise liste, dressée plus tard, permet déjà d’affirmer ceci. Ce jour-là, à la Bastille, il y a Adam, né en Côte-d’Or, il y a Aumassip, marchand de bestiaux, né à Saint-Front-de-Périgueux, il a Béchamp, cordonnier, Bersin, ouvrier du tabac, Bertheliez, journalier, venu du Jura, Bezou, dont on ne sait rien, Bizot, charpentier, Mammès Blanchot, dont on ne sait rien non plus, à part ce joli nom qu’il a et qui semble un mélange d’Égypte et de purin.
Une amie a abandonné le livre,
car elle y trouvait trop d’énumérations et trop de noms propres. Les
énumérations ne m’ont pas gênées, elles participent à rendre la foule, le
mouvement, le bazar aussi, car tout ne va pas dans un seul sens. En revanche,
effectivement, il y a beaucoup de noms propres : les personnes, leur
provenance, leur adresse. Je comprends bien le propos : que les oubliés
viennent à la lumière, parce qu’ils ont existé et ont agi – ce n’est pas de la
fiction – il est important de tout rappeler d’eux, et souvent ce
« tout », ce n’est pas grand-chose. Mais il faut reconnaître que l’effet littéraire est plus
ou moins bien réussi selon les pages.
Dalou, Mirabeau, vers 1879-89, plâtre patiné, Vizille. |
Il faut imaginer un instant le gouverneur et les soldats de la citadelle jetant un œil par-dessus les créneaux. Il faut se figurer une foule qui est une ville, une ville qui est un peuple. Il faut imaginer leur stupeur. Il faut imaginer le ciel obscur, orageux, le lourd vent d’ouest, les cheveux qui collent au visage, la poussière qui rougit les yeux, mais surtout, la foule de toutes parts, aux bords des fossés, aux fenêtres des maisons, dans les arbres, sur les toits, partout.
Mes bémols à moi sont de deux
ordres : je suis agacée par la synthèse volontairement bonhomme, alors que
l’on est dans un roman très érudit. Petit tic perso peut-être. Et je suis très
agacée par l’absence totale de dossier ou de référence ! Je sais, parce
que j’ai la radio, que Vuillard a travaillé avec des archives, mais j’aurais
apprécié une page sur le sujet, sans forcément la cote des documents, mais au
moins quelques mots. Masquer le travail ne me paraît pas du tout un plus.
Ceci étant dit, j’ai lu le livre
rapidement, car j’avais hâte de savoir comment ils en viendraient à bout de
cette Bastille. Car oui, le livre donne le sentiment du suspense : c’est
long d’abattre une porte. Il porte un ton fiévreux, une hâte, une impatience,
il est plein de vie et d’espoir, mais aussi des désillusions à venir. C’est une
vision de l’histoire qui me plaît, un parti pris affirmé auquel j’adhère tout à
fait. Dommage que l’écriture ne me paraisse pas suivre.
Mirabeau prononça alors sa grande
phrase commençant par le peuple et
terminant sur la force des baïonnettes.
Ah ! c’est comme si parfois un homme avait attendu toute sa vie de dire
quelques mots, que ces mots le possédaient tout entier, le retenaient entre
leurs syllabes, lui faisait expier tout le reste, et qu’ils portaient en eux,
dans le drapé de la formule, un mélange d’évidence et de mystère, de grandeur
et de trivialité, où l’humanité trouve son augure. Oui, Mirabeau parle. Il est
un sentiment, une vérité. Nul ne peut plus rien contre. Il dit. La grosse
gueule s’ouvre pour la première fois avec autant de souffle et de culot. La
volonté du peuple de faire son entrée dans l’Histoire.
Je crois que ce sont les premiers bémols que je vois exprimés au sujet de ce roman, qui, à vrai dire, me tente moyennement... j'attendrais sans doute sa sortie en poche..
RépondreSupprimerC'est une lecture très stimulante, mais qui n'est pas exempte de défauts selon moi.
SupprimerJ'aurais aussi aimé savoir d'où venaient les informations. J'ai eu la chance d'écouter l'auteur en lecture du roman, puis les questions réponses, oui, il a bien fouiné dans les archives.Une annexe aurait été très bien.
RépondreSupprimerJe crois avoir entendu des historiens à propos du livre et je sais bien qu'il n'a rien inventé. Mais écrire un truc du genre "archives de police, dossier gnagnagna" ne lui aurait pas demandé un gros effort.
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