La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 24 juillet 2017

C’est un bout de frontière morte.

Dino Buzzati, Le Désert des Tartares, traduit de l’italien par Michel Arnaud, parution originale 1940.

Un classique (lui aussi affligé du syndrome Dc Jekill et Mr Hyde – on sait bien ce qu’il en est de ces Tartares).
Le lieutenant Drogo, jeune et fringant officier, vient prendre son poste au fort de Bastiani, perdu au fond des montages, dont la tâche est de surveiller un désert. L’histoire se déroule à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe, dans un pays inconnu. Nous savons seulement que le désert commence au Nord et que les ennemis arriveront de par là. S’ils arrivent.

Regardez Giovanni Drogo et son cheval : comme ils sont petits au flanc des montages qui se font toujours plus hautes et plus sauvages. Il continue de monter, pour arriver au fort dans la journée, mais, plus lestes que lui, du fond de la gorge où gronde le torrent, montent les ombres. À un certain moment, elles se trouvent juste à la hauteur de Drogo, sur le versant opposé, elles semblent ralentir leur course, comme pour ne point le décourager, puis elles se faufilent et montent encore, escaladant les talus et les rochers, et le cavalier est laissé en arrière.

A. Magnasco, Moines dans un paysage, 1667-1749, détail, Madrid Musée L. Galdiano.
Au début, Drogo se dit qu’il ne va pas moisir dans cet endroit en dehors du temps, que ce n’est que l’affaire de quelques mois. Et puis finalement… Il a encore la vie devant lui, six mois ici ce n’est pas grand-chose. Le temps file, les jours passent… Il a passé presque une vie entière au fort.
C’est un très beau livre. D’abord le décor est somptueux. Les descriptions de la lumière, de la neige, de la pluie, du soleil dans la montagne et sur les murs du fort sont très belles et rappellent que Buzzati a aimé la montagne (vous avez lu Montagnes de verre ?). C’est aussi un roman sur l’envoûtement que produit un lieu sur un homme. Drogo est saisi par les habitudes, le quotidien rassurant, répété de jour en jour, qui l’enveloppe confortablement et qui meuble les heures. Il est saisi par le vide, par l’espoir et par l’attente. Il ne se passe rien – mais un jour peut-être… ou peut-être le lendemain. C’est aussi un roman sur le temps qui passe et sur la vie des êtres humains. Une existence dépourvue de sens qui est invisible aux yeux mêmes des principaux intéressés. Et pourtant, tout cela n’est pas triste. Drogo n’est pas plus médiocre que les autres et la lumière est toujours là, pour tous.
J’ai corné plein de pages – j’ai beaucoup aimé cette lecture.

La trompette sonnait en bas dans la cour, avec un son pur de voix humaine et métallique. Les notes palpitèrent encore avec un élan guerrier. Quand elles se turent, elles laissaient derrière elles un charme inexprimable, qui parvint jusqu’au bureau du médecin. Le silence devint tel qu’on put entendre un pas allongé faire crisser la neige gelée. Trois notes d’une extrême beauté déchirèrent le ciel.

L’avis de VirginyDestination PAL – la liste complète des lectures d’été




12 commentaires:

Lili Galipette a dit…

Ah, magnifique texte. Éloge de la lenteur, de la répétition, de la poussière.

eeguab a dit…

Le livre qui a changé ma vie et dont je ne me suis jamais remis totalement. J'ai aussi lu Montagnes de verre et la plupart de ses nouvelles.

keisha a dit…

Je l'ai lu il y a longtemps, sur les conseils d'un collègue qui, pour me faire saisir l'ambiance du coin où on vivait, m'a dit lis 'le désert des tartares et le rivages des syrtes'
A relire, donc, car souvenir lointain

nathalie a dit…

Tout à fait, une belle découverte pour moi.

nathalie a dit…

D'ailleurs je pense que c'est toi qui m'a donné envie de lire Montagnes de verre. Ce roman est quand même tout à fait majestueux.

nathalie a dit…

Pas encore lu le 2e titre... nous aussi, nous avons notre montage (de livres) à parcourir pour nous occuper.

Ingannmic, a dit…

Un roman qui m’effrayait beaucoup, que j'avais tenté de lire au lycée, pour abandonner au bout de 30 pages, pour finalement adorer lors de ma seconde tentative quelques années plus tard.

nathalie a dit…

J'imagine que le début peut faire peur à un lecteur craintif - la perspective de passer 200 pages dans ce fort ! Mais effectivement magnifique.

keisha a dit…

Ayé je l'ai relu (mais j'attends car c'est une lecture commune). Et là j'ai adoré!!! Quel bouquin! Mais je sens qu'il faut le bon moment pour cela.

nathalie a dit…

C'est un chef d'oeuvre ! Je suis en train de lire Le Régiment part à l'aube de Buzzati, où l'on s'aperçoit que l'auteur reprend et varie souvent sur le même thème. J'ai beaucoup beaucoup aimé le Giro aussi.

ellettres a dit…

C'est vrai que ce roman minéral pourrait être tragique en un sens, mais qu'il ne l'est pas finalement. Le quotidien du fort ne se suffit-il pas à lui-même ? Est-ce une vie plus dénuée de sens qu'une autre ? La question reste ouverte, et Drogo finit par livrer sa bataille.
(C'est moi qui ai fait la LC avec Keisha ^^)

nathalie a dit…

Je suis tout à fait d'accord avec toi. Plusieurs des romans de Buzzati racontent d'ailleurs ainsi la condition humaine, dénuée de sens, mais pas triste pour autant. Une belle vision.