La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 18 juillet 2017

On ne fait pas au mal sa part. Il faut le combattre selon ses forces et pour le reste apprendre à le souffrir en paix.

Georges Bernanos, Monsieur Ouine, 1943.

Le village est mort.
Le roman se déroule dans un petit village du Nord, entre les deux guerres, et se déploie en tableaux successifs. Il y a tout d’abord Philippe, surnommé Steeny, élevé par sa mère et une Miss anglaise. Il n’en peut plus, il étouffe entre elles deux, il est ambitieux aussi. Dans une propriété voisine, il y a une femme excentrique surnommée Jambe-de-laine qui a une grande jument noire, un mari mourant et un professeur étrange, le fameux monsieur Ouine. Ensuite, un garçon de ferme est assassiné.

Tu sais, parmi tant de gens qui se ressemblent, dont la ressemblance est ridicule, odieuse, obscène – tous pareils, quelle ignominie ! – on rencontre parfois des types, on pense : « Celui-là, c’est Rastignac, ou Marsay, ou Julien Sorel » – mais on sent presque aussitôt que ce n’est pas vrai, qu’on est en train de jouer avec soi-même, avec son rêve comme un chaton avec sa queue.

Bernanos raconte d’abord comment le mal s’empare d’un village en apparence sans histoire. Ils sont orgueilleux, fiers de leur famille, ou ambitieux, ou cruels, ou médisants, ou égoïstes. Ils ont l’âme boueuse, comme les chemins. L’eau froide et grasse suinte dans les maisons, dans l’église et dans les corps. Et dans le cimetière, les tombes s’effondrent. Plus qu’un monde sans dieu, c’est un monde sans spiritualité, sans poésie, sans beauté, sans espoir. La gendarmerie ne mène pas l’enquête sur le crime, le maire est impuissant à rassurer ses concitoyens, le curé reconnaît publiquement sa défaite. Et tout le monde envoie des lettres anonymes. Et tout cela s’incarne dans le mou monsieur Ouine, qui est vide, dont le discours sirupeux égratigne et corrompt, mais qui n’apporte rien. Et de nouveau un curé impuissant, dont la paroisse n’est plus qu’un vain mot.

Le vieux remue la bouche pour répondre, puis lui tourne le dos, en silence. Sur le seuil, il hésite encore, et s’en va lentement, le plus lentement qu’il peut, la tête penchée, prêtant l’oreille. La porte ouverte laisse entrer un flot de lumière si éblouissant qu’il redresse le front, assure ses larges épaules, comme pour mieux faire face à la grande houle radieuse accourue du fond des cieux.
Ernest Pignon-Ernest. Oeuvre exposée à Nice 2017. 
C’est un roman de Bernanos. Et j’ai eu du mal à démarrer. La langue est à la fois très dense et volontiers allusive. Le lecteur trop pressé risque toujours de ne pas comprendre ce qui est en train de se jouer. Surtout qu’il faut bien dire qu’il nous dépeint un monde disparu et peu compréhensible : un médecin et un curé qui débattent de l’âme, les pauses de directeur de conscience du professeur, la révolte du jeune homme. Pas facile de tout saisir. Et pourtant, j’ai réussi à embarquer, prise notamment par la puissance de certains portraits, par la violence des rapports entre les personnes, par l’impression diffuse que ce petit village était aussi une allégorie du mal et de la déshumanisation.
Avec tout ça, il y a un crime non résolu, mais un bouc-émissaire vite désigné satisfait tout le monde. Pas moins de 7 cadavres pour ces 300 pages !
La langue est magnifique, puissante, aussi désagréable que l’univers qui est décrit. Cela vaut le coup de se cramponner.

Le vieux est allé droit vers les pâturages où sont les bêtes, les longues vaches flamandes aux yeux tristes, qui viennent en ronflant de plaisir manger parfois l’avoine au creux de sa main. Aucune n’a seulement levé la tête, aucune d’elles perdues dans leurs songes. Mais leur humble présence est juste ce qu’il lui faut, et lui non plus ne les regarde guère ! Il écoute leur souffle tranquille, et tout autour de leurs grands corps couchés l’herbe est tiède et douce, avec une vague odeur de lait.

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4 commentaires:

  1. Bernanos est un de ces auteurs que j'ai maintenant envie de lire et relire, je n'ai lu qu'un ou deux romans
    Si tu ne l'as pas lu je te conseille de lui : un crime un pseudo polar très efficace

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    1. J'ai lu le curé de campagne il y a fort longtemps et je n'avais pas compris grand chose à l'époque, à part que ça avait l'air bien. Et oui, Le Crime, je l'ai lu l'année dernière et je me souviens que je n'y avais rien compris ! Enfin, j'avais apprécié l'atmosphère, l'évocation de la campagne, mais j'aime trop les romans policiers pour cela je crois.

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  2. Comme je suis d'accord avec ta conclusion ! Certes, l'entrée y est un peu abrupte mais après, quel plaisir !

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