La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 16 février 2018

J’aime bien les publicités pour les programmes immobiliers.

Bernard Quiriny, L’Affaire Mayerling, édition Rivages, 2018.

Vous connaissez l’histoire de l’hôtel bâti sur un cimetière indien et qui est hanté ? Vous connaissez. Et bien ici, nous avons affaire à une résidence de standing, un bel immeuble dont on fait la promotion sur papier glacé et qui s’avère… maléfique.
En voilà une lecture plaisante ! Tout commence par une conversation entre le narrateur et un certain Braque à propos de la documentation des agences immobilières : ces dessins présentant des familles dans leur nouvelle résidence de prestige, le vocabulaire ronflant, les photos toujours les mêmes… Tout ceci en alternance avec l’histoire d’un terrain se trouvant à Rouvières, sur lequel sera bâti l’immeuble Mayerling, où emménageront des gens bien ordinaires alléchés par les promesses de bonheur, calme et sérénité. Et toute l’histoire va se détraquer petit à petit : l’eau remonte des canalisations, une anguille apparaît dans la baignoire, un garçon devient agressif, le garage se couvre d’une matière gluante, un couple se déchire, la dame pieuse aguiche les jeunes gens, etc. La cohabitation dans un même immeuble est-elle trop difficile ? Le bruit, les odeurs, les habitudes, les voitures, le courrier… Le béton s’attaquerait-il aux humains ? Et où mène donc la porte inutile du sous-sol ?
Photo prise sur le site de Eiffage immobilier qui n'a pas dû lire le roman.

Le roman alterne le récit et les conversations. Il se présente comme une enquête, un recueil de témoignages pour reconstituer une histoire étrange et un peu taboue. Le narrateur et Braque consultent la presse et rencontrent des acteurs de cette aventure. C’est l’occasion d’enchaîner les portraits du promoteur immobilier, de l’agent immobilier, des ingénieurs, des ouvriers et des habitants. Le roman prend également l’allure d’une fable et d’une satire. Tout en reprenant la trame d’un roman de maison hantée, en adressant des clins d’œil à différents auteurs, dont Perec, Calvino ou Ballard, il se moque de ces immeubles identiques construits un peu partout dans nos villes pour loger tout le monde et des humains qui s’entassent dans ces boîtes sans pouvoir se supporter. C’est extrêmement bien vu sur notre petit monde contemporain. Un roman tout à la fois fantastique et sociologique.

C’est une lecture très plaisante et distrayante. On peut dire que l’on ne regardera plus son appartement du même œil après ça ?

Nous passons aussi devant deux chantiers, et contemplons longuement les bulldozers à l’œuvre. Des ouvriers coulent du béton : bave épaisse et grise qui avale tout, engloutissant les armatures en acier. Des tuyaux sont déroulés partout, en plastique, en caoutchouc, jaunes, rouges, bleus, verts, oranges. Ces couleurs ont sûrement une signification ésotérique.
Maizières soupire.
- Anarchiques et animés, dit-il, les chantiers de construction sont au fond assez beaux. Plus beaux, en tous cas, que les immeubles qui en résultent. Il vaudrait donc mieux, pour l’intérêt des villes et pour notre santé mentale, qu’aucun chantier n’aboutisse jamais.


Merci à Babelio et à Rivages pour cette lecture. Quiriny a accordé un entretien à France Culture.


2 commentaires:

N’hésitez pas à me raconter vos galères de commentaire (enfin, si vous réussissez à les poster !).