La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 25 février 2019

On oublie, on croit qu’on est guéri, et le mal est toujours là, tenace, sournois…

Nathalie Sarraute, Le Planétarium, 1959.

Mais quel étrange roman !
Au départ, une femme se préoccupe de la décoration de son appartement au point de s’en rendre malade. Et puis ensuite, son neveu raconte l’histoire en s’en moquant. Et nous faisons connaissance avec tous les membres de la famille.
Sauf qu’il ne s’agit pas du tout de cela. D’abord, la forme. Sarraute essaie une langue qui restitue les pensées et les paroles des personnages, dans un discours intérieur hésitant, serpentant, se corrigeant. Aucune narration externe, mais seulement les points de vue de chacun sur les uns et les autres, une plongée dans le jeu de dupe de la vie en société bourgeoise. 

Le déclic léger de la gâchette, le claquement bref de la porte de la cuisine, le bruit décroissant de leurs semelles sur les marches en ciment de l’escalier résonnent comme une menace sournoise ; ce sont les signes avant-coureurs du grand silence de la solitude, de l’abandon… Elle est livrée à elle-même. Oubliée sur le terrain dévasté…

Et il n’est pas question de simple décoration, mais plutôt d’une histoire cruelle à la Balzac, entre une vieille tante et un jeune couple, les Guimier, qui ne font pas grand-chose, mais qui veulent un grand appartement, un style élégant et de vagues prétentions intellectuelles (mais pas trop quand même). C’est un univers totalement daté (comme dans la Modification), où les fauteuils en cuir s’affrontent aux bergères rococo, mais ce qui compte, c’est le langage qui essaie de raconter les secrets des âmes. Le langage et les rapports de force inhumain au sein d’une famille, les pauses que l’on prend vis-à-vis de la société et de soi-même.

Elle le regarde avec attention et cela le flatte, elle doit le sentir, elle fait exprès de le regarder avec cet air attentif, plein de considération, elle n’aime pas faire les choses à moitié : quand on les fait, n’est-ce pas ? il faut les faire bien… c’est si délicieux de pouvoir ainsi faire irruption dans une de ces petites existences confinées et les bouleverser, les transformer d’un seul coup pour très longtemps…
Matisse, Fleurs et fruits, 1952 papiers gouachés découpés et collés, Nice.
J’ai aimé cette lecture, qui n’a rien de facile, mais je me suis demandé à plusieurs reprises ce que j’allais bien pouvoir vous raconter. Si vous connaissez le style de Sarraute, vous savez à quoi vous en tenir. Sinon… il vous faut découvrir cette langue qui s’acharne à dire ce qui est souvent en dehors du roman traditionnel, les petits non-dits entre les personnages, leurs désirs informulés, leurs discours de convenance, leurs terreurs particulières.
Sarraute campe une société corsetée, avec la place singulière accordée aux femmes. Les objets anodins y sont investis d’un rôle particulier, du souvenir, du désir, de l’ambition, de la panique. Je note la métaphore, qui revient à plusieurs reprises, de la figure de cire. Les personnages de roman sont creux après tout, peut-être comme ceux de la vie. Leur regard est fixe et nous inquiète. Ils évoluent dans un décor artificiel. Il importe avant tout de ne pas toucher au dispositif sous peine que tout s’écroule.

C’est de là qu’elle vient, cette sensation de faiblesse dans les jambes, cette peur qu’elle éprouve de nouveau maintenant – le corps ne se trompe jamais : avant la conscience il enregistre, il amplifie, il rassemble et révèle au-dehors avec une implacable brutalité des multitudes d’impressions infimes, insaisissables, éparses – cette sensation de mollesse dans tout son corps, ce frisson le long de son dos…

2 commentaires:

miriam a dit…

La il y a très très longtemps oublié. A relire peit etre

nathalie a dit…

J'ai lu Tropismes il y a très longtemps et j'ai aussi oublié. Ça vaudrait le coup que je le reprenne.