Yannick Grannec, Les Simples, 2019, aux éditions Anne Carrière.
Fin du XVIe siècle, en Provence. À l’abbaye Notre-Dame du Loup, les femmes prient et soignent, grâce à un hôpital ouvert aux pauvres. Sœur Clémence herborise et fabrique lotions, tisanes, baumes, pommades qui soulagent et qui sont aussi vendues à la Cour. Voilà qui attise les convoitises, d’autant que l’abbaye peut élire librement son abbesse. L’évêque de Vence aimerait bien mettre la main sur tout cela. Un petit scandale l’aiderait beaucoup.
Cette nuit, Vert-de-cul, le crapaud de la source, a chanté, et ce matin, alors que les murs de l’abbaye expiraient l’humidité de l’hiver en bouffées putrides, elle a vu qu’au jardin la rondette avait fleuri. Cette date n’est pas inscrite dans le calendrier, ou décidée par les astres, elle change chaque année. Il faut savoir en reconnaître le tressaillement, le premier coup de reins secouant l’apparente immobilité du paysage. C’est le jour exact où naît le printemps.
Ce roman nous plonge dans les intrigues de couvent : diriger une abbaye, renverser l’abbesse, maintenir la règle. Ici cohabitent des « Marie », vouées à la prière et à la stricte clôture, et des « Marthe », les sœurs converses, qui peuvent sortir du cloître (c’est bon ? tout le monde maîtrise son évangile de Luc ?). Les premières sont riches et nobles, les secondes, pauvres. Toutes ont été abandonnées par leur famille, ce qui n’empêche pas la foi d’être sincère. L’hôpital des pauvres est un objet de controverse, de même que la fabrique de ces produits basés sur les plantes. Nous suivons Clémence et ses apprenties dans les collines, pour la récolte des racines, des feuilles, des fleurs, de toutes les herbes aux vertus mystérieuses, aussi bien soignantes qu’inquiétantes.
La tentative de l’évêque déclenche une série d’événements, qui s’appuient aussi bien sur les ambitions des uns et des autres, le désir et l’amour, la peur des sorcières, la bêtise, la haine des femmes, la grâce de Dieu.
Les plus ferventes se vouent à la chasteté afin de gagner leur salut éternel. L’abbesse ne les en blâme pas : si quelques jouissances charnelles pouvaient contrebalancer la charge du devoir féminin, cela se saurait. L’observance vous dispense plus sûrement que le mariage terrestre d’un interminable séjour au purgatoire.
Une abbaye en ruine : celle de Netley en Angleterre. |
Qu’en ai-je pensé ? Je suis un peu partagée. L’écriture est assez plate et la dramatisation des événements qui s’enchaînent vire un peu à la caricature et cela m’a agacée. Néanmoins, je trouve que l’évocation est très réussie pour tout ce qui concerne les simples, l’ambiguïté des pouvoirs attribués aux plantes, entre fascination et répulsion, la vie de couvent. Plusieurs personnages révèlent des facettes intéressantes comme l’évêque, le jeune Léon, Clémence dont on comprend tardivement la réalité du caractère, Gabrielle la petite sainte, Renée… et les détails matériels sont bien trouvés. L’ensemble est extrêmement bien documenté et il y a une belle bibliographie à la fin du roman.
Parmi les points notables : la charge que représente la gestion d’une abbaye, les enjeux de pouvoir entre médecin, chirurgien et les femmes qui connaissent les plantes, ces moniales qui rêvent toujours qu’on viendra les chercher pour les sortir du couvent, le vinaigre mystérieux qui calme les ardeurs des moines, les interminables négociations pour organiser une procession religieuse ou le poids irrésistible de la mélancolie qui prend diverses formes et qui s’empare des religieuses. Tout un univers où les femmes essaient de se faire une place.
Dans l’espace confiné de l’oratoire, l’odeur caprine des sœurs l’écœure. Sans être un de ces coquets parfumés, le cadet des Sine aime à changer de linge aussi souvent que le lui permettent ses finances. Les moniales ne peuvent faire grande toilette que deux fois l’an et elles n’ont pas le droit aux senteurs. Une rotation de printemps s’imposerait, car leurs robes puent le rance et la blancheur de leur guimpe n’est plus qu’un souvenir. Elles respirent peut-être la sainteté, mais, d’évidence, pas la rose.
pourquoi je ne suis pas étonnée de trouver ce roman ici ?
RépondreSupprimerje l'ai fini il y a quelques jours et j'ai bien aimé, le thème des simples bien entendu mais j'ai aimé aussi les personnages, Clémence et Gabrielle petite sainte qui sait bien se lâcher malgré tout, oui c'est un rien caricatural mais j'ai marché et je me suis laissée porter par l'intrigue, ce n'est pas un grand roman mais un roman sympa
je ferai sans doute un billet dans quelques jours
Oui j’ai marché jusqu’au bout avec plaisir tout en étant agacée. Plutôt une bonne lecture en effet !
SupprimerJe n'ai pas osé y consacrer du temps, on peut revoir!
RépondreSupprimerOh je pense que tu seras moins critique que moi ! Clémence et Léon sont attachants et l’univers du couvent est bien rendu.
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