La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 21 février 2020

Prenons la mesure !

Honoré de Balzac, La Peau de chagrin, 1831.

Un jeune homme réduit à la dernière extrémité et envisageant le suicide entre dans la boutique d’un antiquaire. Il découvre par hasard une « peau de chagrin », qui exauce tous les vœux, mais la vie de Raphaël sera dès lors mesurée à la taille de la peau. Il connaîtra l’amour et la fortune, mais sera hanté par sa propre mort, dont l’approche sera désormais visible à l’œil nu.
À ma première lecture, j’avais eu l’impression d’un truc lourd et un peu gris. À la deuxième, j’avais été très enthousiaste. Là, c’est un peu des deux.
Il faut dire un mot d’abord de Raphaël de Valentin. Ok, c’est mon prénom masculin préféré et c’est un point positif non négligeable. Ceci dit, le récit de ses malheurs m’a semblé interminable. De plus, il ne donne pas une idée très favorable du personnage. Que ce soit sur le travail, la science, l’argent, l’amour ou les femmes, on ne gagne pas à le fréquenter. Et puis, ce banquet masculin qui n’en finit pas… Heureusement, une fois la peau en main, le récit s’améliore nettement. Raphaël passe par tous les états : de la joie, de la terreur, de la panique, de la rage, de la mélancolie, avec un moment particulièrement doux quand il retrouve sa chère Pauline. D’ailleurs, la relation entre ces deux-là me semble particulièrement réussie. Ils sont amants, mais vont se marier. Il y a surtout beaucoup de sensualité et de désir entre eux deux – ils font véritablement l’amour – et le roman se clôt sur cette image. Ce n’est pas si courant chez Balzac et c’est vraiment très bien.
Il y a aussi la description du magasin d’antiquités comme un monde en réduction. Toutes les époques et tous les pays se retrouvent là, à la porte de l’Enfer.
H. Memling, Polyptique de la Vanité terrestre : l'Enfer, vers 1485 Strasbourg BA
Parce qu’au-dessus de tout cela, il y a l’aspect fantastique. Ce chagrin, qui est un onagre, apparaît bien mystérieux. Je note que l’expression « peau de chagrin » est passée dans le langage courant – belle création balzacienne ! La peau, c’est le destin qui marque inexorablement le moment de la mort et contre lequel les ruses humaines ne peuvent rien, avec toute la tristesse associée à ce mot de chagrin.
Je note la présence inquiétante de Taillefer (ceux qui savent savent).
Malgré ses défauts, c’est incontestablement un chef d’œuvre !

Où trouverez-vous, dans l’océan des littératures, un livre surnageant qui puisse lutter de génie avec ces lignes : Hier, à quatre heures, une jeune femme s’est jetée dans la Seine du haut du Pont-des-Arts. Devant ce laconisme parisien, les drames, les romans, tout pâlit, même ce vieux frontispice.

Elle lisait dans les yeux de Raphaël un de ces désirs furieux, jadis sa gloire à elle ; et à mesure que grandissait ce désir, la Peau en se contractant, lui chatouillait la main. Sans réfléchir, elle s’enfuit dans le salon voisin dont elle ferma la porte.
- Pauline ! Pauline ! cria le moribond en courant après elle, je t’aime, je t’adore, je te veux ! Je te ne maudis si tu ne m’ouvres ! Je veux mourir à toi !

2 commentaires:

Dominique a dit…

un chef d'oeuvre ça je ne le discute pas mais un récit qui n'éveille rien chez moi alors que j'aime énormément Balzac, peut être parce qu'il a des relents d'étude scolaire

nathalie a dit…

Disons que la première centaine de pages a de quoi calmer les ardeurs des fans les plus assidus !