Martha Hodes, La Femme du capitaine. Guerre, amour et race dans l’Amérique du XIXe siècle, traduit de l’américain par Julia Burtin, parution originale 2006, édité en France par Anacharsis.
Un livre d’histoire comme une grande saga américaine.
À partir de la lecture d’une correspondance ancienne, Martha Hodes s’est lancée sur les traces d’Eunice Richardson, une américaine du XIXe siècle. Nous parlons d’une Yankee de Nouvelle-Angleterre, une ouvrière blanche, d’une famille modeste. Un mari ouvrier, elle-même travaillant à l’usine, gagnant peu d’argent. Quelques années en Alabama. Et puis, la guerre de Sécession, avec ses déchirements : les deux frères d’Eunice s’engagent dans l’armée du Nord, pour défendre l’unité du pays, tandis que son mari et un beau-frère sont dans l’armée du Sud. Devenue veuve, elle connaît une existence de misère dans le Vermont, à faire des ménages et des lessives. Et puis… elle choisit de changer de vie en épousant Smiley Connolly, un négociant et capitaine des îles Caïmans, dans les Caraïbes, un homme à la peau claire, mais un noir, avec des ancêtres esclaves venus d’Afrique.
Smiley Connolly offrit à Eunice et ses enfants une stabilité pour le reste de leur vie mais, s’il lui procura le bien-être qui lui avait si longtemps manqué, il y avait un bémol. En l’épousant, Eunice renonçait à jamais à la respectabilité tant désirée de femme blanche de la Nouvelle-Angleterre.
Voilà un livre passionnant ! L’historienne s’appuie sur la correspondance familiale, mais y ajoute les nombreuses archives trouvées ailleurs, des extraits de la presse, des analyses sur les différents aspects de la vie d’Eunice : la condition économique des ouvriers vers 1850, la culture Yankee (vis-à-vis des Irlandais par exemple), la pensée religieuse, la déchirure de la guerre civile, les exigences supportées par une femme qui doit travailler, mais n’a plus de quoi se payer un chapeau, ce que cela suppose de faire des lessives à cette époque-là, le racisme, la vie aux Caïmans, les enjeux portés par les lettres au sein d’une famille. Le livre restitue une part de l’histoire des États-Unis, tout en suivant le destin d’Eunice. Elle réussit finalement à trouver le bonheur et à accomplir le rêve de toute femme moyenne de l’époque (avoir sa maison, un mari aimant, des enfants, une bonne), mais en s’exilant loin de son pays et de sa famille et en rompant avec toutes ses attaches.
Parmi la liste de choses intéressantes : l’orthographe qui permet de deviner la prononciation de certains mots, les cités pour les ouvriers, la différence de vie entre les villes de Nouvelle-Angleterre et celles du Sud, les interrogations sur les lettres manquantes et sur le silence de la correspondance, la couleur de la peau qui n’a rien d’évident selon le lieu où l’on se trouve, les mythes sur lesquels se sont construits les États-Unis.
Un destin individuel et un portrait collectif. Et bien sûr, la rencontre avec les descendants !
Une fresque dans les rues de Philadelphie. |
La lessive était la tâche ménagère la plus souvent sous-traitée par les familles, car il s’agissait du fardeau le plus pesant. La lessive commençait par la fabrication du savon, qui consistait à faire fondre puis bouillir de la graisse, du lard, des cendres et de la chaux pendant des heures sur le feu, en écrémant et en remuant jusqu’à ce que la mixture refroidisse et se solidifie, avant de faire fondre et durcir à nouveau le mélange. Après cela, il fallait tirer de l’eau, faire un feu pour la chauffer, y faire tremper les affaires sales, faire bouillir et remuer le mélange, frotter le tissu contre la planche à laver, rincer, essorer, amidonner avant d’essorer à nouveau, puis ramasser le linge et étendre chaque pièce lavée sur une corde à linge.
Il y avait plutôt qu’Eunice éprouvait des difficultés à mettre des mots sur la vie qu’elle avait choisie : se marier par-delà les frontières raciales, renoncer à sa famille, quitter sa terre natale probablement à tout jamais, vivre parmi une communauté d’anciens esclaves et de personnes d’origine africaine. Quand j’écris et que j’ai tant à te dire, et que je pense à la grande distance que ces mots doivent traverser pour te parvenir, j’ai l’impression que je dois être brève et passer sous silence beaucoup de ce que j’aimerais dire. Eunice savait pertinemment que cette grande distance signifiait davantage que les milles marins et les kilomètres.
Une auteure.
Cela m'a l'air intéressant (mais rien à la bibli)
RépondreSupprimerPas un éditeur très répandu en bibliothèque.
SupprimerOui, moi aussi, j'aime bien ce que tu en dis ! On verra pour plus tard.
RépondreSupprimerMoi, toujours fan des livres d'histoire.
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