Kazuo Ishiguro, Le Géant enfoui, traduit de l’anglais par Anne Rabinovitch, parution originale 2015, édité en France par Gallimard.
Dans une Angleterre, d’où les Romains sont partis et les Normands pas encore arrivés, mais où les ogres sont restés, très « Âges obscures », un couple âgé, Axl et Beatrice, entament un long voyage pour se rendre dans le village de leur fils. Ils ont beaucoup hésité, mais craignent de perdre tous leurs souvenirs. En effet, là où ils vivent, la mémoire s’effiloche étrangement, peut-être à cause de cette brume mystérieuse qui envahit les esprits.
Mais, là encore, je me demande si ce que nous éprouvons aujourd’hui au fond de notre cœur ne ressemble pas à ces gouttes qui dégringolent des feuillages gorgés d’eau au-dessus de nos têtes, alors que la pluie a cessé depuis longtemps. Je me demande si, sans nos souvenirs, notre amour est destiné à s’estomper et à mourir.
C’est un voyage long et fatiguant, sur des chemins inconnus, parmi des souvenirs lointains. Même si la région semble en paix, il y est sans cesse question des anciennes guerres entre Saxons et Bretons, des massacres et des vengeances, que tout le monde semble avoir oubliés. Ou plus ou moins. Axl et Beatrice rencontreront un village où tout le monde est affolé, un monastère au passé inquiétant, des créatures étranges, des bateliers inquiétants. Mais ils ne seront jamais séparés.
Croix d'Easby, 800, pierre, V&A |
Dans ce paysage de montagnes, de collines, de forêts, de landes, d’eaux, où l’être humain est toujours un inconnu, et donc une potentielle menace, où il faut faire confiance, sans savoir, plane l’esprit du roi Arthur. Ses chevaliers y ressemblent à des troncs d’arbre moussu, sauf un, Gauvain, âgé, mais encore redoutable, qui erre, dont la mémoire embrouillée mêle les époques, aux confins de la raison et de la folie, fidèle à un roi et à un idéal, ou désormais conscient de l’inutilité de son action. Cette utilisation du mythe arthurien est très habile, car il s’implante progressivement dans le roman et prend de plus en plus de consistance, sans que le lecteur ne s’en rende réellement compte, relié étroitement aux vies des deux héros et à leur périple.
La fin reste ouverte, pour le guerrier, pour le garçon, pour Axl et Beatrice, incertain et plein d’espoir.
Je passerai de la somnolence à un état de demi-éveil, je verrai le soleil se coucher sur l’eau et le rivage s’éloigner encore, je replongerai dans mes rêves en dodelinant de la tête jusqu’à ce que la voix du batelier me tire doucement de ma songerie une fois encore. Et s’il devait me poser des questions, comme certains disent qu’il le fera, je lui répondrai honnêtement, car que me reste-t-il à cacher ? Je n’ai pas eu d’épouse, bien que j’aie parfois désiré en avoir une. Mais j’ai été un bon chevalier qui a fait son devoir jusqu’au bout. Je le lui dirai, et il verra que je ne mens pas. Il ne me dérangera pas. Le coucher de soleil paisible, son ombre tombant sur moi tandis qu’il passe d’un côté de son embarcation à l’autre.
J’ai aussi lu Auprès de moi toujours qui est très très bien.
Je devrais lire Auprès de moi toujours... Je n'ai lu que Les vestiges du jour (et vu le film!). Je ne connais pas ce Géant enfoui
RépondreSupprimerJe pense qu'Auprès de moi toujours te plairait. C'est un livre très particulier. J'ai vu Les Vestiges, mais pas lu. Et j'avais repéré le Géant à sa sortie, parce que le côté fantasy me plaisait !
SupprimerJ'ai adoré tout ce que j'ai lu de lui, mais ce "Géant enfoui" me fait peur. J'ignorais que c'était une réécriture de la légende arthurienne.
RépondreSupprimerMoi aussi ! Mais c'est très réussi, ce croisement contes, mythes et histoire.
Supprimer