La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 21 juillet 2020

Ce n’est pas l’heure qui fait la nuit, c’est la montagne.

Maria Borrély, Les Reculas, parution originale 1932, se trouve aux éditions Parole.

Nous sommes il y a un certain temps. Béatrix, une jeune femme d’un village de Provence, passe l’hiver dans la famille de sa sœur, quelque part dans les Basses Alpes, dans un hameau reculé de la montagne. Elle découvre la vie dans le froid et sous la neige, un pays où il y a des éboulis et des avalanches, où les paysans passent l’hiver avec leurs bêtes pour se tenir chaud, où le soleil disparaît, avalé par la montagne, pour ne reparaître que plusieurs mois plus tard. Borrély raconte la vie dans cette minuscule communauté, faite d’amour et de méchanceté, de solidarité et de dureté.

« Pour un soleil comme ça ce n’est pas la peine d’en parler, il a autant d’ardeur qu’une rave blette. Pauvre soleil, il lui en manque deux. »
Il ne les effleure qu’à peine, a l’air de leur dire : « Regardez-moi bien, vous ne me verrez plus de quatre jours. » Le voilà justement qui tombe là-haut, entamé par le rocher. Sa lumière d’un coup se fait louche, le froid mord comme un lynx et l’ombre a tout dévoré. Le ciel se resserre.
Tout est engageant à voir comme un fagot d’épines.

Il y a des pratiques oubliées pour la culture des champs en montagnes, mais aussi des rituels pour saluer le soleil, des champs, des prières étranges, qui ne sont qu’autant de moments collectifs pour se réjouir d’avoir réussi à traverser l’hiver et à remercier le printemps. Par exemple, il y a une mystérieuse omelette de sept œufs, mangée avec du pain cuit de trois jours et un champ qu’il faut remonter chaque année.
Comme toujours chez Borrély, il y a aussi une grande sensualité qui touche aussi bien les bêtes que les humains, mais surtout les femmes. Ce sont elles qui désirent et qui offrent leur corps.
Voilà un très beau roman, une tranche de vie sur une époque disparue. La langue tire un peu vers l’allégorie et le symbole, mais sans lourdeur, juste ce qu’il faut pour donner de la grandeur à la simplicité de ces êtres humains. Par ailleurs, cette langue est pleine de vie, de mots et de tournures qu’on n’entend plus, elle recrée tout un monde.
Un roman qui donne envie de trouver sa place.
 
Quand la montagne est là, au loin.
Le monde est encore à travailler dans les champs. Malgré que le soleil ait dételé depuis une grande heure, il reste encore beaucoup de jour. Sur les aires vides où le marcher est souple dans l’herbe rase, Béatrix qui mesure sa taille avec ses mains, fait le va-et-vient d’une meule de paille à l’autre, respire les horizons. De quelque côté que l’on se tourne ici, sur cet immense plateau cerclé de lointaines collines pâles, les yeux reposent au ciel. Sauf au nord où se pressent de grandes montagnes.

Jamais il ne cesse de louer la vie.
« À mon âge, j’ai enfin appris que les quatre saisons de l’année, aime-t-il à répéter, sont pareilles à quatre fruits distincts et parfaits que l’on tient dans les deux mains réunies en écuelle : une pomme, une pêche, un abricot et une grosse prune d’or crevée, voilà les quatre saisons de Dieu » dit ce vieillard.

Borrély sur le blog :
L'Homme semence
Le dernier feu (mon préféré avec Les Reculas, c'est par un de ces deux-là qu'il faut commencer !)
Les Mains vides
La Tempête apaisée

4 commentaires:

keisha a dit…

Quoi, mais je ne connais absolument pas!! Peut être trop régional pour que ça soit parvenu chez moi?

nathalie a dit…

Peut-être. Elle n'est vraiment pas connue (à part moi !).

miriam a dit…

Merci de nous faire connaitre cette écrivaine dont je n'avais jamais entendu parler.

nathalie a dit…

Elle n'est pas répandue et c'est bien dommage.