La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 12 novembre 2020

Comment quiconque ose-t-il dormir ne serait-ce qu’un instant ?

Rick Bass, La Rivière en hiver, traduit de l’américain par Brice Matthieussent, parution originale 2016, édité en France par Christian Bourgois.

S’il y a un auteur dont on a besoin en ce moment, c’est bien Rick Bass.

Il s’agit d’un recueil de nouvelles.


Il lui semblait parfois qu’un chapitre manquait à sa vie. Une partie qu’il avait négligée de vivre, une chose qu’il avait négligée de faire, et que toute cette tension et ce malaise étaient son fardeau personnel, sa responsabilité. Que son être intime abritait un élément peu aimable qui se communiquait au monde et le rendait lui-même encore moins aimable.


La première, Élan, raconte non pas la chasse, mais ce qui suit la chasse d’un élan. Une bête énorme qui a été tuée au milieu de la montagne, entièrement recouverte de neige, et qu’il faut découper et ramener – le plus entièrement possible, viande, bois, peau – jusqu’à la voiture. Plusieurs jours de marche entre deux hommes qui se relaient dans une neige épaisse et dans le froid, alors que tous les animaux sont partis hiberner. Un récit impressionnant qui décrit les gestes des chasseurs (à ce compte, on ne tue qu’un seul élan par an), quand ils doivent assumer l’intégralité de leur chasse, jusqu’au congélateur.

Ce dont elle se souvient : Une jeune femme se souvient d’un trajet en voiture avec son père. Il y a simplement les 10 premières lignes pour nous dire pourquoi ce trajet est important et puis on les oublie, bercé par le voyage, par les animaux et la montagne qui apparaissent. C’est un monde de souvenirs apaisés.

Il y a deux histoires avec Winston et ses filles, quand un père essaie d’être à la hauteur, mais n’y arrive pas très bien. Encore que… ses filles sont belles et solides.

Il y a l’histoire d’un entraîneur de basket qui est engagé dans un lycée ! Ce que j’aime chez Bass, c’est qu’on retrouve tous les États-Unis, dans leurs côtés exotiques pour nous, leurs excès, leurs points positifs et négatifs. Nous le connaissons surtout pour la nature et le Montana, mais il y a bien d’autres choses. On sent que son écriture est nourrie de toute son expérience personnelle et humaine et il nous raconte de petits épisodes de vie, avec une infinie bonté et surtout beaucoup d’espoir. J’étais donc contente de retrouver une histoire qui se passe au moment de la prospection des puits de pétrole, parce que nous n’associons pas forcément cet écrivain à cette activité. Pourtant, il est géologue, ce qui lui permet tout à la fois d’évoquer ce monde du pétrole (où il a effectivement travaillé avant de s’en éloigner) et de raconter les paysages d’une façon différente, depuis le sous-sol jusqu’à la lumière et aux oiseaux.

Il y a aussi un poisson géant. Et une montre qui a connu une vie incroyable. J’ai beaucoup aimé ma lecture.

 

Milne, La Cascade blanche, 1921, Ottawa.

La couleur de la lumière dans la vallée changeait, l’or et le vert se nuançant de mauve et de bleu ; le contact de l’air sur leurs bras devint encore plus délicieux. Les éphémères naissaient le long de la rivière, montaient en colonnes qui dérivaient dans l’air, aussi denses qu’un brouillard ou une fumée, et elles rebondissaient sur leurs bras comme de petites aiguilles. Plus loin, les mouches de pierre, plus grosses, commencèrent à émerger, percutèrent le pare-brise et le maculèrent de taches vert, jaune et orange vif, que les essuie-glaces réduisaient en bouillir avant de les éliminer.

 

Ils étaient affamés de n’importe quoi, sauf d’eau salée. L’ancien océan paléozoïque – ce gargouillis remontant à toute vitesse dans le tuyau, avec l’odeur salée de vagues et de déferlantes qu’aucun homme n’avait jamais humée –, voilà bien l’unique chose que personne ne voulait voir débarquer du tour de forage. Ils désiraient le pétrole mais se contentaient avec joie du gaz inutile, à cause du spectacle du brasier et de l’espoir qu’il y ait du pétrole par en-dessous.

 

Bass sur le blog :

Les derniers grizzlys : J'ai commencé par celui-là que j'ai A-Do-Ré. Quand vous l'avez lu, vous enchaînez avec Mes années Grizzly de Doug Peacock et ensuite avec Grizzly Park Arnaud Devillard.
Toute la terre qui nous possède : dans celui-ci il est question de chaleur et de pétrole.
Le Journal des cinq saisons : celui-ci est dans le Montana et il n'y fait pas toujours chaud.

 

 

4 commentaires:

Dominique a dit…

un auteur passionnant mais j'ai fait l'impasse sur ses nouvelles car je suis sous l'eau question lecture

nathalie a dit…

En temps normal, j'aurais hésité à acheter un recueil de nouvelles, mais là je l'ai trouvé le 1er jour du 2nd confinement et ça m'a paru bienvenu.

keisha a dit…

Je préfère la non fiction en général, et j'avoue que j'ai lu les trois titres avec grizzli dans le titre (non, tu n'es pas seule sur ce coup là! ^_^)

nathalie a dit…

Oh je sais qu'il y a d'autres fans. J'ai moi-même prêté ces romans avec abondance !