Gilles Havard, L’Amérique fantôme. Les aventuriers francophones du Nouveau monde, 2019, Flammarion.
Nous partons sur la trace d’hommes qui ont accompagné le lent mouvement de conquête du continent américain par les européens. Ils sont tous francophones et on les qualifie souvent de coureurs des bois. Ce sont ceux qui parcourent des milliers de kilomètres le long des rivières et qui rencontrent ceux que l’on appelle alors les Indiens. Ce sont les truchements, les traducteurs, ceux qui connaissent les habitudes des différentes tribus, ceux qui permettent le commerce de peaux, ceux qui sont indispensables pour signer les traités de paix entre les Français et les Indiens. Des gens qui ont laissé peu de traces dans les archives, des francophones, des gens avec un pied en pays indien, et qui jusqu’à la fin du XIXe siècle ont accompagné les Français, les Britanniques, les Américains (et même les Espagnols).
C’est évidemment très intéressant.
Depuis plusieurs décennies déjà, les marchands européens plaçaient de jeunes matelots parmi les peuples des côtes africaines et sud-américaines afin d’apprendre les langues, d’encourager le commercer et de servir d’informateurs. Des truchements normands, dont Gambie vraisemblablement, sont ainsi venus en Floride avant 1562. (…) Ils peuvent alors laisser parmi elles quelques jeunes matelots pour apprendre leurs langues, un statut de truchement d’autant mieux compris des Timucuas qu’ils possèdent eux aussi leurs propres interprètes, nommés hiatiquis.
Il y a beaucoup de choses sur les Indiens puisque l’un des rôles de ces hommes est de servir d’intermédiaires et de permettre le commerce. Ils sont donc très imprégnés par les mœurs autochtones, au point d’avoir adopté certaines habitudes et de dérouter leurs compatriotes plus urbains. C’est un monde où les guerres sont permanentes (notamment contre les Iroquois) et les disettes fréquentes, où les solidarités familiales et amicales sont donc indispensables pour survivre dans ces contrées inconnues. Ils traversent et habitent des villages très peuplés, puisque nous sommes avant l’ère des épidémies dévastatrices.
Les distances parcourues sont ahurissantes : comment un petit bonhomme parti de la vallée du Saint-Laurent et des forêts (pas encore québécoises) parvient, à pied et en canoë, jusqu’au Lac Supérieur et jusqu’au Dakota, jusqu’aux plaines à bisons, à Saint-Louis, au Pacifique ?
Évidemment, les Américains ont plutôt eu tendance à oublier ce petit personnel pittoresque, qui parle français et diverses langues autochtones, qui picole et qui vit dans les bois. Pourtant certains ont pris part à la grande aventure de l’expédition Lewis et Clarke (qui n’aurait pas été très loin s’il n’avait pas été possible de parler avec les Indiens). Au passage nous assistons à la création de la Compagnie de la baie d’Hudson, nous apprenons qu’une statue de découvreurs français a été érigée à Winnipeg et qu’un de ces coureurs des bois apparaît dans Les Simpson, dites donc. On croise aussi Audubon.
A. Plamondon, Le dernier des Hurons de Lorette, 1838, oeuvre déposée au Musée des BA du Canada à Ottawa. |
Le président Jefferson, commanditaire de l’expédition de Lewis et Clark, sait la valeur de ses écrits. Mais il prend soin de ne le mentionner que dans sa correspondance privée. S’il est prompt à utiliser l’expertise géographique et ethnographique des créoles et des Canadiens de Saint-Louis, il se refuse à leur reconnaître une part dans l’exploration de l’Ouest.
Pour communiquer, la chaîne de transmission s’avère un peu complexe, mais on la préfère au langage des signes. Quatre langues sont ainsi mobilisées : Lewis parle à Labiche en anglais, qui répète les paroles en français à Charbonneau, lequel les traduit en gros ventre à Sakakawea, capable enfin de s’adresser en serpent à Cameahwait – et inversement.
Un bémol : Cette suite de chapitres biographiques et ces existences présentent un caractère répétitif certain et inévitable. J’ai passé quelques pages, même si elles démontrent tout le sérieux du travail de l’auteur.
Un petit arrêt sur le mot de « truchement » : un mot venu de l’arabe fréquemment employé pour désigner ces hommes dans les forêts du Nouveau monde. C’est aussi ça la mondialisation !
Une émission très intéressante sur l’expédition Lewis & Clarke et plus généralement pour une autre vision de l’Ouest américain.
Merci Estelle pour la lecture !
ce doit être assez intéressant j'ai pas mal lu sur le sujet en particulier l'expédition de Lewis et Clark en deux volumes
RépondreSupprimerje vais podcaster l'émission que je n'avais pas retenu
Oui, cela renouvelle le sujet de l'exploration du Canada, et il y a beaucoup de choses sur les Indiens. C'est très riche.
SupprimerOh mais ça m'a l'air totalement intéressant (sauf les inévitables répétitions ^_^) Figure toi que j'ai lu un bouquin sur l'expédition Lewis et clarke, paru chez Phébus, Lewis et Clark : Le grand retour La piste de l'ouest et je te le recommande (des longueurs aussi, mais c'est un document!)
RépondreSupprimerIl va de soi que je compte bien lire ce récit, qui ne constitue qu'un chapitre du livre de Havard ! Un jour...
SupprimerD'ailleurs l'auteur montre bien qu'un certain nombre de choses ne sont pas dites par Lewis/Clarke ou sont déformées.
RépondreSupprimerOn y trouve l'indienne Sacajawea (orthographe à l'arrache) et un Charbonneau.
SupprimerOui Havard consacre l'une de ses parties à Charbonneau.
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