La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 8 décembre 2020

La nuit s’acheminait lentement vers le jour, sans cesser pour autant d’être nuit.

 Max Aub, Le Labyrinthe magique. 1. Campo cerrado, traduit de l’espagnol par Claude de Frayssinet, parution originale 1943, édité en France par Les Fondeurs de Briques. 

Une grande fresque historique qui raconte la Guerre d’Espagne dans une langue très concise. Le premier volume est centré autour de la vie de Rafael, un homme venu d’une famille pauvre, mis en apprentissage, puis ouvrier à Barcelone, lisant des livres, se frottant de pensée politique. Le livre s’achève quand la Guerre civile débute.


Le début

Soudain les lumières s’éteignent : 10 heures, la lune dévoile sa présence sur les murs crépis à la chaux, qui prend aussitôt deux teintes, l’une blanche, l’autre grise. Le silence parcourt les rues de la petite ville comme un frisson, de la tête aux pieds, depuis la grand-place jusqu’à Quintanar Alto, adossé à la colline.


J’ai extrêmement aimé tout le début. La jeunesse de Rafael dans des petites villes, auprès de familles modestes. Les rapports de force, les liens entre les hommes et les femmes. Et cette écriture incroyable ! Le premier chapitre raconte une course de taureau dans un village, une course de panique et de violence, sans issue, à la lueur des torches, ou comment une bête rendue furieuse par les hommes se trouve enfermée dans la ville.


Comment sont les Catalans ? Ce sont des gens noués, se dit notre jeune homme après quelques jours, replantés dans leur propre terreau, se nourrissant de leur humour, s’irriguant de leur langue, davantage portés sur leur argent que sur leur honneur, et très attachés à ce dernier. Il n’est pas de grande découverte, de fait marquant, de grand métro, de grand poème, de grand pont, de religion, de peinture, de bataille ou de cocu qui n’ait sa représentation catalane.


J’ai eu plus de mal avec la partie barcelonaise et notamment avec la fin. D’abord parce que Rafael découvre les soirées politiques et les conversations politiques de bistrot : « mot en -isme, le peuple, la lutte, mot en -isme, la révolution… » Je suis imperméable à tout cela. On comprend que Barcelone et plus généralement l’Espagne vibre de toutes sortes d’idées et que tout le monde est prêt à s’enflammer. Rafael hésite, entre les anarchistes et la Phalange, tous semblent aussi séduisants les uns que les autres. Le déclenchement de la guerre est raconté de façon réaliste et concise, dans un hommage évident à L’Espoir d’André Malraux. Et là, j’avoue que c’est compliqué. 1. Parce que je ne connais pas tous ces gens dont il est question (membres du gouvernement, militaires loyaux, militaires traîtres, anarchistes, communistes…) à part un, qui me sert de repère. 2. Je ne différencie pas les personnages de fiction des historiques. 3. Je ne connais pas les noms de lieu. 4. Je crois que l’histoire de la Guerre civile espagnole nous est foncièrement incompréhensible parce que 90 ans après on ne saisit pas pourquoi tous ces mouvements de gauche et tous ces démocrates ne font pas front commun contre la Phalange (sur le thème « mais alliez-vous contre les méchants, bordel ! »). Une partie du drame nous passe donc sous le nez.

Goya, Corrida dans un village, 1808, Academia Bellas artes San Fernando

N’empêche. C’est une lecture très impressionnante. Je retiens la belle description de Barcelone et de la Sagrada Familia, une cathédrale inachevée.

J’ai déjà acheté la suite !

 

Des mois, des années à attendre le moment de tirer, bien à couvert à un angle de rue. Tirer comme bon vous semble. Plus seulement de droit propre, mais au nom du droit d’autrui. Faire plaisir à sa main, combattre la poitrine à l’air. Ils tirent pour le plaisir de tirer, comme si la balle qu’ils expédiaient portait, radieux, le droit de vivre rageur de l’humanité escale de Barcelone.

 

Max Aub a eu quatre nationalités au cours de sa vie me dit Wikipedia.

Pour découvrir l'auteur, je vous conseille ce très court et très brillant Crimes exemplaires que j'ai d'ailleurs assez envie de relire.


 

6 commentaires:

keisha a dit…

Hum j'avoue que je ne connais pas l'Espagne et son histoire, et j'évite ces lectures, dommage

nathalie a dit…

J'avoue que je voulais lire le grand oeuvre de Max Aub (un des plutôt, car il y a un autre titre repéré), et je ne savais pas du tout de quoi il s'agissait.

valérie a dit…

"Je crois que l’histoire de la Guerre civile espagnole nous est foncièrement incompréhensible parce que 90 ans après on ne saisit pas pourquoi tous ces mouvements de gauche et tous ces démocrates ne font pas front commun contre la Phalange" J'ai la chance de bien connaître cette période pour des raisons personnelles, et du coup je crois que j'ai envie de lire ce livre...

nathalie a dit…

Ah ah ! Ce sera sûrement une impression très différente de la mienne alors. En tout cas, je continue ma lecture, car l'écriture est très intéressante.

Dominique a dit…

j'aime bien découvrir un nouvel auteur même si tout n'est pas parfait je note d'autant que la guerre d'Espagne est très présente sur mon blog à travers des romans courts en général mais qui donnent bien le ton
je note toutes tes références merci

nathalie a dit…

Tu pourras suivre ma progression dans ce Labyrinthe magique. Aub est un grand auteur, pas assez connu !