La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 16 février 2021

Oh ! m’étendre à plat ventre sur le pavé froid, avec ce poids de pierre que je traîne.

 Alejo Carpentier, Chasse à l’homme, traduit de l’espagnol par René L.-F. Durand, publication originale 1956, édité en France par Gallimard.

 

Un concert est sur le point de commencer. La Symphonie héroïque de Beethoven. Les élégants se pressent sur les marches, en ignorant le petit caissier miteux. À peine les lumières éteintes, un homme entre en courant et s’assied au fond de la salle. Un homme qui se cache de la police.

Retour en arrière sur les jours et sur les heures qui ont précédé. Le roman ne comporte pas d’indications très précises, mais nous comprenons que nous sommes en tyrannie, que les étudiants ont tenté une révolution, que le militantisme devient règlement de comptes et assassinats, que l’on trahit et que l’on veut s’enfuir.

Le personnage principal de ce court roman est cet homme traqué, qui fuit la police et ses anciens amis, qui cherche à s’abriter et à manger, perdu dans ses remords de conscience. Nous le suivons dans les rues, évitant les lumières, revenant sur sa vie passée, pressé de toute part par la musique de Beethoven. Il croise une jeune prostituée, le caissier de la salle de concert, sa vieille nourrice. Il erre dans la ville.


Les musiciens entraient en scène, reprenant les instruments qu’ils avaient laissés sur leurs chaises ; les trombones allaient à leurs sièges élevés tandis que les bassons prenaient place au beau milieu d’un grouillement d’arpèges et d’accords dominés par un trille aigu ; les haut-bois, dont les languettes étaient essayées avec des grimaces goulues, s’attardaient en des points d’orgue d’une sonorité pastorale.


C’est un roman très prenant. Un climat d’angoisse saisit peu à peu le lecteur à la gorge. La chasse est en réalité une traque, un piège. Nous voudrions que la symphonie ne s’achève jamais, car nous savons bien que le silence apportera seulement la mort.

C’est le règne de la violence absurde. La grandeur de la musique plane sur eux tous, mais chacun est si minable, ou si prisonnier des contraintes de sa propre existence, qu’elle ne pourra sauver personne.

On retrouve la langue pleine de méandres de Carpentier, assez chargée, pas immédiatement transparente, pleine d’un contenu lourd, charriant les références à la religion chrétienne, aux religions polythéistes, à la tragédie grecque, à la musique. Cette langue peint une ville inquiétante, La Havane, un labyrinthe d’architecture, reflet du labyrinthe des pensées.

 

À noter qu’une courte introduction de l’auteur donne le contexte.


Oh ! ces instruments qui frappent mes entrailles, maintenant que je vais mieux ; celui qui tape sur ses chaudrons, me donnant chaque fois des coups dans la poitrine ; ceux d’en haut, qui retentissent si fort vers moi, avec des voix qui sortent de trous noirs ; ces violons, qui semblent scier les cordes, déchirant, faisant grincer mes nerfs ; ça grandit, ça grandit, ça me fait mal ; deux coups de mailloche retentissent.


S. Nikritine, Le Tribunal du peuple, 1934, Moscou Galerie nationale Tretiakov

Alejo Carpentier sur le blog :

Concierto barroco (C'est mon préféré, je l'ai lu en espagnol et en français, lisez-le !)
Le Partage des eaux
Le Siècle des Lumières (la Révolution aux Antilles et en Guyane, magistral et Claudia Lucia en a parlé la semaine dernière)


Bon pour le mois latino-américain de Goran et Ingannmic.


8 commentaires:

  1. Connais pas! Je commence à douter que ces romans soient vraiment pour mon goût, finalement...

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    1. Ce n'est pas une écriture qui plaît à beaucoup de gens pour être honnête, trop touffue, trop de mots, trop de tout, et c'est un peu indigeste, mais j'aime bien.

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  2. Des cet écrivain j’ai lu "Le siècle des lumières", je ne connaissais pas ce texte, merci pour la découverte... (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)

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    1. Le Siècle... est impressionnant, même si ce n'est pas mon chouchou. Je vais essayer de lire d'autres titres de lui, même si ce n'est pas un auteur facile.

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  3. je n'ai lu que deux livres de lui aussi je suis un peu novice mais je lis ton billet avec intérêt car c'est un auteur que j'ai aimé

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    1. Je pense que Concert baroque te plairait.

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  4. Merci pour ce billet, je ne connais pas cet auteur. Je suis ton conseil en notant Concierto Barroco, que je lirai en français, par contre..

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