La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 26 octobre 2021

Elles sont pas plus mortes ou moins mortes que nous. Elles sont comme nous.

 Antoine Volodine, Les Filles de Monroe, 2021 (rentrée littéraire), édité au Seuil.

 

Dans un monde détruit, où l’univers habité se réduit à une sorte de camp pas très bien contrôlé par le Parti (lequel ?) et par la police, des filles surgissent du néant, envoyées par un mort (Monroe) pour rétablir le Parti (justement) et permettre aux humains de revivre et à une société radieuse d’advenir. Parmi elles, Rebecca Rausch. Elles sont observées par deux hommes ou plutôt un homme, dont le lecteur comprend rapidement qu’il se dédouble. Breton emploie le « je » ou le « il » ou le « nous » pour parler de lui. Il est censé rapporter ses observations à la police ou aux médecins, mais il ne le fait pas vraiment. La fin du monde n’empêche pas l’amour d’exister ni le vague sentiment qu’il faut continuer à vivre tant que l’on respire.


La fille resta suspendue un instant à la corniche qui courait le long du troisième étage, puis elle tomba et disparut dans l’obscurité luisante de la rue Dellwo. Elle s’appelait Rausch. Rebecca Rausch. Trente ans plus tôt, je l’avais follement aimée. Et ensuite, elle était morte.

C’est le début.


C’est le nouveau Volodine et j’ai beaucoup aimé, même si une fois encore, il sera compliqué de dire pourquoi.

D’abord, curieusement les personnages sont attachants. Dame Patmos, pleine de désirs rebondis et de soif de pouvoir, Kaytel le policier qui ne refuserait pas de s’évanouir dans le néant et qui parvient, vaille que vaille, à parler aux morts, Breton et son double, dont on ne sait jamais s’il perd ou gagne aux échecs, un peu pataud, pas l’âme d’un héros, pas prêt de sauver le monde, mais décidé à suivre sa Rebecca jusqu’au bout, même si elle est morte depuis 30 ans.

Nous sommes dans un univers étrange et familier à la fois. Un immense camp médicalo-policier, l’absence de tout aliment, des arbres à qui l’on parle, des ampoules dites écologiques, la possibilité d’évoluer dans les rêves des autres, de parler aux morts. Des noms de factions du Parti absurdes et pleines d’humour. C’est la fin des temps et plus rien n’a de sens. Enfin, les morts peuvent encore rêver et envoyer des créatures pour rétablir le Parti.

Breton, Paracelse Mage de Connaissance, 1941, Cantini


Elle se mit à crapahuter le long d’un mur. Une mare de pluie s’était accumulée et elle la traversa pesamment, lentement. Elle repoussait l’eau devant elle comme si elle lavait le trottoir à la wassingue.


Je précise pour celles et ceux qui n’auraient jamais tenté du Volodine et seraient un peu intimidées par tout cela que l’ensemble est expliqué le plus naturellement du monde. Si le lecteur erre un peu ou est perturbé au début, il prend progressivement ses marques et peut évoluer ensuite sans problème. C’est d’ailleurs une des grandes forces de l’écriture de cet auteur : sa capacité à raconter de façon totalement simple et naturelle un truc très bizarre, mais en vérité, pas si loin de nos repères. Et même si la pluie tombe en rafales ou en fusillades, ce monde n’est jamais totalement effrayant. Il existe toujours une possibilité de se glisser dans les interstices de la pénombre (pénombre qui est beaucoup plus humaine que la lumière brutale).

Il y a aussi l’humour de plusieurs formules et le jeu sur les différents registres de langue. Et voici quelques-unes des factions du Parti : les Communards de l’éveil suprême, les Renonçants rouges, les Marxistes de la grande compassion !

  

Le terme de « détraqué » me paraissait manquer de rigueur scientifique, mais il en aurait fallu plus pour que je me dérengorgeasse.

 

Il n’était pas encore sept heures et demi et les brouillards chauds de l’aube traînaient encore entre les blocs hospitaliers. On respirait un air qui déposait sur le visage un voile humide, parfumé au feuillage des acacias goutte-de-fiel, nombreux dans les environs, parfumé aussi au bitume en décomposition, aux neuroleptiques et aux restes humains.

 

Volodine sur le blog :

Écrivains : 1er billet et 2e billet
Songes de Mevlido
Des anges mineurs
Frères sorcières (on y trouve les slogans totalement absurdes du Parti)
Lisbonne dernière marge

 

8 commentaires:

keisha a dit…

Alors là... Jamais lu l'auteur, tu sembles plus que l'aimer, bon, je n'ai rien contre les expériences de lecture...

nathalie a dit…

Disons qu'à chaque parution hop je tente de séduire les foules (sans trop de succès). Il doit être représenté en bibliothèque car il publie depuis longtemps et Terminus radieux a eu le prix Médicis.

Dominique a dit…

j'ai lu avec un énorme plaisir un roman de cet auteur mais depuis plus rien je crois que tu te fais tentatrice très efficace là, c'est vrai que c'est un auteur un rien intimidant mais la lecture ensuite vaut vraiment la peine

Nathalie a dit…

Ahhhh merci ! J’espère qu’il te plaira.

Jourdan a dit…

J’en ai entendu parler de son dernier roman mais je le connais plus en littérature jeunesse.
Et il écrit souvent sous pseudo.
Merci pour la chronique qui me rappelle que je devrais le lire.

nathalie a dit…

Il a toute une série de pseudo oui (dont Volodine). Je n'ai jamais lu sa littérature jeunesse j'avoue ! C'est décidément très riche.

Passage à l'Est! a dit…

Vraiment, sans ton article je serais passée devant ce livre sans jamais songer à le prendre en main. Mais je me vois bien changer d'avis, surtout avec ces arguments que tu donnes pour ne pas se laisser intimider. Et puis ça me fait un tout petit peu penser à La visite de l’archevêque de Bodor, même si ça n'a en fait probablement rien à voir.

nathalie a dit…

C'est un univers ancré dans le monde "post soviétique" avec ce Parti, cette police, cette coexistence de bureaucrates et de chamanes. Je me demande s'il est traduit, tiens.