La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 21 octobre 2021

N’oubliez pas : il n’y a pas de terre sans le ciel.

 Aharon Appelfeld, Les Partisans, parution originale 2012, traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti, édité en France par l’Olivier.

 

Le narrateur est un tout jeune homme sorti du lycée, mais il est juif et c’est la guerre et avec un groupe de résistants juifs ils survivent dans les forêts et les marais de l’Ukraine.

Et comment parler d’un tel livre ? À petites touches, par petits paragraphes, par portraits émiettés, le narrateur raconte la vie des partisans. Ils marchent, ils se cachent, ils attaquent les maisons pour récupérer de la nourriture, ils parlent, ils essaient de ne pas sombrer dans le désespoir, ils essaient de rester humains, de devenir des combattants. Parmi eux, il y a quelques femmes (non combattantes), des vieux, des jeunes, de petits enfants, un aveugle. Tous ont leur place pour aider le groupe. Il y a des communistes pour qui la religion est l’opium du peuple, des gens qui connaissent la Torah et savent prier, beaucoup qui se sont un peu détachés de la religion ou de leur famille et qui ont grand besoin de racines, mais il n’y a pas de sionistes rêvant à être pionniers sur une nouvelle terre. La cohabitation est parfois conflictuelle.


Je ne veux pas qu’on se méprenne : notre vie tient à un fil, mais nous ne sommes pas malheureux. La moindre victoire nous réjouit. Oui, il y a des jours de tempête, de détresse et de désespoir aveuglant que nous payons au prix fort, pourtant nous ne perdons pas la volonté de vaincre l’ennemi, c’est notre but suprême.


C’est qu’il ne s’agit pas uniquement de se battre et de manier les armes, mais de conserver une dignité humaine, de forger une âme collective, une âme juive, celle qui est en train d’être détruite, de regarder les étoiles.

Plusieurs figurent se détachent du groupe, notamment celle de Kamil, le chef, combattant endurci et très méticuleux, mais aussi guide spirituel, aux accents prophétiques, pas toujours compris de tous, mais portant tout le monde sur ses épaules et donnant au groupe son destin.

Ils se rêvaient attaquants, résistants, vengeurs peut-être, mais les voici en train de sauver d’autres juifs en faisant dérailler les trains de déportés. Ils sauvent, ils recueillent, les voici confrontés à des hommes et des femmes épuisés, atteints de typhus, blessés, qu’il faut nourrir et soigner, qui ne pourront pas combattre, qui ont perdu l’espoir. Ils seront recueillis.


Les débats sur la nécessité de ces opérations ont cessé. Il est clair pour tout le monde que les trains sont des trains de la mort. Ceux qui n’étoufferont pas dans les wagons mourront en arrivant dans les camps.

Je vis de nouveau mes parents vêtus de leurs grands manteaux. Ma mère avait le visage livide et celui de mon père commençait à pâlir. Je m’étais dérobé devant la ligne de démarcation effroyable sur laquelle ils s’étaient tenus.


Ici encore, le narrateur évoque son conflit avec ses parents, son indifférence, lui qui, avant la guerre, était plongée dans l’adolescence et l’amour, et qui n’a pas vu la guerre arriver. Tous ceux qui ont rejoint le groupe ont d’ailleurs dû abandonner les leurs dans le ghetto, sur un quai de gare, s’enfuir, seuls, sans savoir ce qu’allaient devenir leurs parents ou leurs enfants. Même en ayant vécu ce qu’ils ont vécu, beaucoup ne croient pas à la réalité des camps de la mort. La révélation de leur existence s’abat sur le groupe comme des oiseaux de proie et change complètement la façon dont ils envisagent leur combat.


Il ne nous cache pas que la route sera semée d’embûches, mais si nous parvenons à vaincre le désespoir, à ne pas lâcher notre but et à comprendre qu’être juif n’est pas dénué de sens, alors nous pourrons être témoins de la défaite de l’ennemi.

D’où tient-il cette certitude ? se demandent les camarades. Un jour, dans un moment d’exaltation, il s’est écrié : « Nous ne combattons pas uniquement pour survivre ! Si nous ne sortons pas de ces forêts en étant totalement juifs, cela signifiera que nous n’avons rien appris. »

Y. Guégan, Sans titre - Caen, Les amis du musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon


Les Ukrainiens sont peu présents, mais tous disent leur surprise d’être confrontés à des juifs capables de se battre et de résister. Les vrais juifs se laissent abattre dans la forêt et ensuite, on récupère leur maison. Pourtant certains Ukrainiens se comportent autrement et se détournent du massacre.

Je suis impressionnée par la capacité de l’auteur à transfigurer son histoire, en donnant à ses personnages une lumière, une grandeur, une humanité légèrement supérieure à la réalité, qui transcende leur frêle existence et leur donne l’allure de héros, de guides, de modèles.

Comme d’autres romans d’Appelfeld, le livre s’achève en restant ouvert. On va rentrer à la maison. Au fond de soi, on sait bien qu’il ne reste rien, ni les parents, ni la maison, ni même le chien, mais on se répète que l’on va rentrer à la maison.

J’ai marqué d’innombrables pages. Comment choisir ?

 

Le printemps resplendissait chaque jour d’une beauté renouvelée. De la gare, on pouvait apercevoir la rivière s’écouler, les fleurs dans les jardins, les vaches et les moutons paître dans les prés, comme s’il n’y avait pas eu une guerre effroyable.

Les jours sur la cime s’éloignaient de nous, même s’il semblait parfois que nous allions y retourner, retrouver Kamil et les camarades et qui étaient tombés. Lorsque Félix évoquait la cime, il esquissait un sourire, comme pour dire : « En fin de compte, c’étaient des jours clairs, sans brouillard et sans illusion. Nous savions ce que nous avions à faire, et nous faisions ce que nous pouvions. »

 

Appelfeld sur le blog :

 

L’avis de Miriam.


8 commentaires:

Ingannmic, a dit…

Je ne lis pas assez cet auteur...

keisha a dit…

J'en ai lu un, mais j'ai l'impression d'être toujours au même endroit?

nathalie a dit…

Toutafé !

nathalie a dit…

Pourtant ce n'est pas le cas. D'abord ce sont des romans, pas des autobiographies, et certains se déroulent en ville, d'autres comme ici au milieu de la steppe. Après c'est l'Ukraine. Dans Histoire d'une vie il y a des scènes en Italie et en Israël. Je n'ai pas tout lu non plus.

Passage à l'Est! a dit…

Tu peux t'imaginer comme ce roman - et Aharon Appelfeld en général - m'intéresse. J'espère que je pourrai mettre la main sur un exemplaire en français d'ici nos lectures communes autour de l'Holocauste, version 2022.

nathalie a dit…

Il aura en effet toute sa place lors de cette semaine. L'auteur est passionnant.

keisha a dit…

Lectures autour de l'Holocauste: mais je dois me préparer!!!

nathalie a dit…

C'est fin janvier, encore un peu de répit.