La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 27 janvier 2022

Ici il n’y a pas de pourquoi.

 Primo Levi, Si c’est un homme, parution originale 1947, traduit de l’italien par Martine Schruoffeneger.

 

 

C’est un livre qui commence par la phrase suivante : « J’ai eu la chance de n’être déporté à Auschwitz qu’en 1944… » (préface).

Levi raconte son emprisonnement et sa survie dans un Lager, un camp de travail dépendant du complexe de mort d’Auschwitz. Il décrit minutieusement, de façon sobre et précise, tous les aspects de ce que l’on peut appeler « la vie au camp ». Je n’ai pas lu tant de titres sur la Shoah, mais ici je suis frappée par la précision des détails sur les sujets les plus divers : les cuillères, les boutons du vêtement, la variation du cours des divers matériaux trafiquables, les règles tacites, les règles formelles. C’est très concret, presque analytique, même si affleurent souvent le sentiment du désespoir et une certaine ironie.


Si on va aux latrines ou aux lavabos, il faut emporter avec soi tout son attirail sans le lâcher un seul instant, quitte à tenir ses habits roulés en boule et serrés entre les genoux pendant qu’on se lave la figure : sinon, ils disparaissent à la minute.


Ainsi qu’il est écrit au début, c’est à la chance que Levi attribue sa survie discrète, modeste, tenant tout juste à un fil. Le texte est sous-tendu par l’espoir, non seulement parce que l’on sait que son auteur en est revenu, mais parce qu’il se termine sur la promesse de revoir les quelques personnes rencontrées là-bas et ayant survécu également. Il contient également de nombreux portraits d’autres déportés avec leurs diverses stratégies pour survivre. Les plus efficaces n’attirent pas la sympathie, mais ils en sont également revenus. La capacité de Levi à s’intéresser à ses proches et à s’efforcer de comprendre leur fonctionnement, en maniant l’équilibre délicat de la distance descriptive, du jugement moral et de l’absence de condamnation, fait toute la richesse et l’originalité de ce témoignage.


Bien que nous n’y pensions pas plus de quelques minutes par jour, et encore, d’une manière étrangement détachée, extérieure, nous savons bien que nous finirons à la sélection. Je sais bien, moi, que je ne suis pas de l’étoffe de ceux qui résistent, je suis trop humain, je pense encore trop, je m’use au travail.


Auschwitz apparaît comme une institution où règnent l’arbitraire et l’absurde et qui semble fonctionner de sa propre autorité. Les Allemands sont à peine présents et on croise tout juste un SS.

Dès le premier ou deuxième jour, il est question de survivre et de témoigner.

 

L’explication est monstrueuse, mais simple : en ce lieu, tout est interdit, non certes pour des raisons inconnues, mais bien parce que c’est là précisément toute la raison d’être du Lager.


Cela faisait un certain temps que je voulais relire cet incontournable. Je me souvenais de la postface avec les questions posées le plus fréquemment à l’auteur et ses réponses. L’impression est toujours aussi forte.

 

Les personnages de ce récit ne sont pas des hommes. Leur humanité est morte, ou eux-mêmes l’ont ensevelie sous l’offense subie ou infligée à autrui. Les SS féroces et stupides, les Kapos, les politiques, les criminels, les prominents grands et petits, et jusqu’aux Häftlinge, masse asservie e indifférenciée, tous les échelons de la hiérarchie dénaturée instaurée par les Allemands sont paradoxalement unis par une même désolation intérieure.

 

Il y a une lecture extraordinaire de La Divine comédie et du chant d’Ulysse. Je suis  à présent bien décidée à lire les autres textes de Levi.

Avec ce titre je participe aux lectures communes autour de l'Holocauste, sur une initiative de Passage à l'Est et de Et si on bouquinait.

 

10 commentaires:

  1. J'ai bien entendu lu cet incontournable. Je te conseille la 'suite' où i l revient en Italie, c'est fort bien aussi.

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    1. Ce doit être La Trêve. Je l'ai noté en effet.

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  2. Je l'ai lu -pour la 1ère fois- l'an dernier, et j'en ai gardé une forte empreinte. Je note également La Trève..

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    1. Je l’avais lu il y a vraiment longtemps et je voulais le relire. Il est indépassable.

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  3. Tous ses livres sont passionnants mais celui là c'est le texte le plus important et dire qu'il a eu beaucoup de peine à être publié !!!
    il fut je crois le premier texte que j'ai lu sur les camps autres que des livres d'histoire et j'en garde un souvenir bien plus que fort, indispensable, tellement humain devant l'inhumain comme dit Keisha c'est un incontournable absolu

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    1. Oui on doit souvent le lire au lycée je pense. Facile d’accès mais si impressionnant.

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  4. Comme toi, il faudrait que je le relise. La lecture avait été marquante mais elle est lointaine, aussi pour son histoire éditoriale comme le souligne Dominique. J'ai lu d'autres textes de Primo Levi sur le sujet, mais surtout j'ai découvert sa poésie, une belle rencontre.

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    1. Cognetti cite longuement sa poésie, je l'ai découverte ainsi. Je compte bien lire d'autres titres, pour ne pas le réduire à un seul livre.

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  5. Je l'ai lu au lycée, curieusement je me souviens du livre mais plus de mes impressions. Je le relirai, sans me contenter de le réduire à un seul livre (comme tu le soulignes).
    Tu parles dates, aussi: c'est un aspect qui n'en finira jamais de m'attrister: pour beaucoup des rescapés 1944 est suffisamment tardif pour qu'ils puissent survivre, mais tant d'autres parmi ceux et celles qui sont arrivés avec eux ont été tués dès leur arrivée.

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    1. Oui Levi parle des numéros, grands et petits, de ce qu’ils signifient. Il insiste beaucoup aussi sur le côté melting-pot du camp.

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