La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 17 mars 2022

C’est à peu près pareil. Nous sommes toujours heureux.

 Jan Morris, Trieste ou le sens de nulle part, parution originale 2001, traduit de l’anglais par Guillaume Villeneuve, édité en France chez Payot.

 

Une balade pour découvrir Trieste, cette ville d’Italie, à moins que ce ne soit d’Autriche ou peut-être de Yougoslavie ? Tout est là, dans cette situation géographique et historique particulière. Trieste a été le grand port sur la Méditerranée de l’empire austro-hongrois. Tout s’est écroulé lors de la Première guerre mondiale et depuis la ville est italienne, mais ce n’est pas si simple.

Morris nous brosse un parcours plus thématique que géographique ou historique. La situation commerciale, l’activité du port, les grandes demeures bourgeoises, les écrivains célèbres qui ont séjourné là, le sort des juifs…


Je suis incapable de toujours voir Trieste en esprit. Qui le pourrait ? Il ne s’agit pas d’une de ces villes typiques, instantanément visibles dans le souvenir ou l’imagination. Elle ne propose aucun repère inoubliable, pas de mélodie universellement familière, pas de cuisine unique, pour ainsi dire pas de nom original connu de tous.


Il y a d’abord le jeu complexe des identités et des nationalités. À Trieste, on est autant slave qu’italien. Les identités s’entrecroisent et s’interpénètrent, sans contradiction. Voire. Lors de la Seconde guerre mondiale, les juifs ont été tués ou déportés – Trieste compte sur son sol le seul camp de concentration italien ainsi que le raconte Sonnenschein. Le régime de Mussolini a tenté d’ « italianiser » la ville en fermant des écoles slovaques. Chaque cahot de l’histoire européenne a ici une résonnance particulière. Mais aujourd’hui, la province de Trieste est officiellement bilingue (italien et slovène).

Dans cette ville où la définition de soi est un peu contournée, Morris projette discrètement sa propre histoire. Venu la première fois à Trieste en homme, en soldat de l’Empire britannique, à la fin de la Seconde guerre, elle y revient en femme journaliste, un peu méfiante vis-à-vis de cette notion d’empire et de cette nostalgie du passé. C’est pourquoi sans doute, si le livre est empreint de mélancolie, il s’ouvre sur l’avenir en annonçant de possibles évolutions de la ville (c’est un chapitre qui est bienvenu).

Et si un jour je monte dans le train, j'arriverai à la gare centrale de Trieste.
Photo Wikipedia.

Le savez-vous ? Winckelmann y a été assassiné, tandis que le café Illy y est né.

Une douce ironie toute britannique se fait sentir dans les commentaires, notamment dans les citations du très correct Baedeker.

 

C’est une belle balade qui donne envie de monter dans le train et de partir. En attendant, elle me donne envie de (re)lire Italo Svevo et de me tourner vers Claudio Magris.

 

Ah, quelle vie, quelle vie on mène au café ici ! On s’étire et l’on prend un autre café – « le café de Trieste est le café suprême ici-bas » nous assure le serveur d’un air approbateur, comme pour nous complimenter de notre bon goût. Et une fois l’addition payée, alors que nous vagabondons à nouveau, nous nous retrouvons au bord de l’eau en une demi-minute.

 

Une autriceMon billet sur La Conscience de Zeno de Svevo.

Une lecture qui fait écho à celle de Sonnenschein qui se déroule à Gorizia, juste à côté, et dont je vous parlais mardi.




 

3 commentaires:

keisha a dit…

"douce ironie toute britannique' plus voyage : c'est ce que j'aime!

nathalie a dit…

J'ai peut-être écrit la phrase en pensant à toi...
C'est le livre que j'avais pour lire dans le train en partant de chez toi !

keisha a dit…

Je m'en souviens...