Gouzel Iakhina, Zouleikha ouvre les yeux, parution originale 2015, traduit du russe par Maud Mabillard.
Le roman s’ouvre un matin d’hiver, dans un village tatar. Zouleikha a 15 ans, elle est mariée à une brute et elle trime dure. Dans cette existence étriquée, tout est bien tracé. Mais on est en 1930 et il y a les réquisitions du pouvoir soviétique. En quelques heures, son mari est tué et la voici déportée, dans un convoi de paysans, emmené dans un train, un wagon à bestiaux, au fond de nulle part, sous la conduite du commandant Ignatov.
La forêt est matinale et silencieuse, et la neige a un crissement particulièrement appétissant sous les bottes de Mourtaza, comme celui du chou frais sous la hachette de Zouleikha, quand elle prépare le chou mariné.
Le roman raconte ce voyage long de plusieurs mois et l’établissement de la petite colonie de déportés au bord d’une rivière, auprès de la forêt, dans le froid et la faim, les moustiques et les privations, mais toujours sous l’œil de Moscou. Étonnamment, c’est là que Zouleikha parvient à s’ouvrir à la vie, survivant envers et contre tout, élevant un fils, se découvrant capable de force et de courage, se faisant une place.
C'est un très beau parcours.
Il y a tout d’abord la description du convoi de déportés, où la vie du gardien est à peine meilleure que celle des prisonniers. Lui aussi après tout est envoyé à l’écart du monde et ne comprend pas grand-chose à la mécanique du pouvoir soviétique. Ici nous sommes loin du modèle du vigoureux colon défricheur de terre. Le groupe de déportés est composé d’un fou, d’un peintre, d’un bagnard, d’intellectuels égarés, d’un manchot… Ils survivront, accrochés à la vie, recréant un chez eux et des amitiés, en s’entraidant tous chaque jour. Comme souvent, la froideur de la dictature se mêle de scènes cocasses et absurdes (notamment quand les peintures des rues de Paris deviennent celles des rues de Leningrad, un grand moment de rigolade). Et puis, il y a l’URSS comme une grosse limace rouge.
Brueghel Pieter II, Le Massacre des innocents, Musées royaux de Bruxelles, détail |
Comme dans Les Enfants de la Volga, on retrouve le thème de l’émerveillement devant l’enfant nouveau-né. Il y a aussi celui du simple d’esprit qui se révèle très bien adapté au monde fou du stalinisme et du refuge au fond des bois où l’on peut espérer un temps être oublié du monde extérieur. En revanche, ici, les passages oniriques sont plus courts et moins libres. Nous ne sommes plus dans le conte, à peine dans une fable.
Mais à la fin, tous les espoirs sont permis.
Parfois, elle avait l’impression qu’elle était déjà morte. Ces gens, autour d’elle, épuisés, hâves, qui passaient leurs jours à chuchoter entre eux ou à pleurer silencieusement, que pouvaient-ils être d’autre que des morts ? Ce lieu, répugnant, étroit, aux murs de pierre gluants d’humidité, situés sous la terre, sans le moindre rayon de soleil y pénètre, qu’était-il, sinon un tombeau ? Mais lorsque Zouleikha s’approchait des latrines improvisées dans un coin de la cellule, qui consistaient en un grand seau de fer-blanc sonore, et qu’elle sentait ses joues brûler de honte, elle comprenait soudain qu’elle était encore en vie. Les morts ne connaissent pas la honte.
Sur ce roman, l'avis de Et si on bouquinait.
Mon billet sur Les Enfants de la Volga. Je crois bien avoir préféré Zouleikha.
C’est une lecture commune avec Ingannmic et Aifelle. La Russie fait partie des pays acceptés dans le cadre du mois de l’Europe de l’Est sur les blogs (ça, c’est un beau sujet pour l’agrég d’histoire-géo ou pour une émission de France Culture), mois organisé par Et si on bouquinait.
Une autrice.
Oui, c'est une LC avec moi et avec Aifelle aussi, qui s'est jointe à nous ! Un beau roman, avec du souffle mais aussi de la justesse, et une héroïne mémorable.
RépondreSupprimerJ'ai actualisé tout ça ! Je note les LC et puis le moment venu je ne sais plus très bien.
SupprimerAu final, nous sommes toutes les trois d'accord sur ce roman qui se déploie sur des décennies et évoque tant de sujets. Une autrice que je vais suivre, j'ai beaucoup aimé son écriture, en plus de l'intérêt historique.
RépondreSupprimerOui c’est une grande fresque, elle nous emporte. Ça fait du bien.
SupprimerQuelle phrase d'introduction ! Vos billets se complètent sur votre enthousiasme. Je l'avais noté à parution, je le lirai ce roman, vous me le confirmez.
RépondreSupprimerC’est même la dernière phrase de ce roman plein d’une douce lumière.
SupprimerIl va falloir que je m'en occupe, alors? Trois, ça commence à faire. ^_^
RépondreSupprimerQue nous sommes pénibles ! 😁
Supprimerune lecture commune ! je me disais aussi que le web était pris d'épidémie :)))
RépondreSupprimermanifestement une belle lecture que je vais noter car je ne suis pas capable de m'en empêcher même si je sais que ma pile est proche de l'écroulement
Je pense que tu aimeras beaucoup.
SupprimerC’est vrai que là, belle force de frappe à nous trois.
Très belle idée de lecture commune pour un roman qui restera comme un très bon souvenir de lecture pour moi malgré la dureté de ce qu'il aborde. Un grand merci pour ta participation !
RépondreSupprimerAprès ma lecture des Enfants de la Volga, c'était un plaisir. J'ai encore plus préféré ce titre !
SupprimerJe me souviens avoir hésité à la sortie de ce roman, tant et si bien qu'il est en poche maintenant ! Vos trois avis me persuadent de ne pas le rater !
RépondreSupprimerVoilà tu as fait des économies et maintenant tu peux te précipiter dessus sans remords.
SupprimerTrois billets tentateurs, comment résister ?
RépondreSupprimerNous essayons d'être persuasives !
SupprimerIl a l'air vraiment passionnant ce livre ! Tu es en accord avec Ingammic et Aifelle ! Je vais le lire !
RépondreSupprimerTu vas adorer, j'en suis sûre !
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