La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 12 mars 2022

Nantes et la traite négrière

 Nantes, château des ducs de Bretagne, premier volet

 

Première visite consacrée au château des ducs de Bretagne à Nantes et à ses collections permanentes. Je ne vous en livrerai pas une présentation exhaustive, mais je vous recommande vivement cette visite. Les collections portent sur l’histoire de la ville, de l’origine jusqu’au milieu du XXe siècle. La muséographie est très bien faite, avec deux salles pour chaque thématique. Le visiteur n’est pas perdu et sait toujours où il en est. Les cartels sont très bien rédigés, puisqu’il n’est pas nécessaire de tous les lire pour saisir le propos général. On connaît des musées qui pourraient s’en inspirer.

Je consacrerai deux billets thématiques à cette visite, dans des tonalités très différentes. Le premier, aujourd’hui, porte sur la traite des esclaves.

Nantes a été le port français qui a le plus pratiqué le commerce d’esclaves (Bordeaux est le deuxième et il en a été question récemment avec le livre de Julie Duprat). 

Je cite les chiffres de Wikipedia : La ville de Nantes organisa à elle seule 42 % des expéditions négrières françaises. Elle est responsable de la déportation de plus de 500 000 êtres humains entre l’Afrique et l’Amérique. Les esclaves étaient le plus souvent vendus à Saint-Domingue.

 

Sur ce sujet difficile, l’exposition est claire et pédagogique, factuelle, terriblement factuelle. Elle marque les esprits. Sans vous donner le détail (vous lirez des livres d'histoire), voici quelques objets exposés, parmi les plus frappants.


Cette grande affiche décrit le navire la Marie Séraphique (1770) et la façon dont son "chargement" d'êtres humains est disposé dans l'entrepont. 307 hommes et femmes rangés, ni plus ni moins que les autres marchandises. Le tableau situé sous le dessin donne le détail du chargement. C'est un document très marquant. Je me souvenais l'avoir vu lors de ma précédente visite et il reste toujours aussi peu soutenable.



Une autre affiche consacrée au Marie Séraphique. avec le détail financier de la traversée. Les morts de la traversée y sont mentionnés, comme autant de pertes financières. Il s'agit des comptes, achat et revente.

 

Bon pour la somme de 2600 francs que je paierai en espèces sonnantes... à l'ordre de Monsieur Kerazec capitaine du navire La Sainte Anne de Nantes... une tête de nègre provenant de la cargaison dudit navire, étampés sur le bras gauche (= marqué au fer rouge), lequel j'ai vu, visité et dont je suis content.


Lors de la vente, le paiement est rarement comptant. Les colons achètent le plus souvent leurs esclaves à crédit et ils signent des bons d'achat. Le remboursement se fait sur 2 ou 3 ans, en argent ou en produits agricoles (cacao, coton, café, indigo).

Alors ça, je ne connaissais pas du tout.

Nantes étant situé à proximité de Lorient, où était installée La Compagnie des Indes orientales, les négociants pouvaient facilement se fournir en biens qui servaient de monnaies d'échange avec les souverains du continent africain, qui avaient la main sur la capture d'esclaves. C'est notamment le cas des indiennes, c'est-à-dire de métrages de coton ornés de motifs destinés spécifiquement à cette clientèle. Le musée présente plusieurs bois gravés pour l'impression des toiles destinées à être vendues sur les côtes d'Afrique. Certaines entreprises étaient spécialisées dans cette fabrication et firent faillite après 1848.

Sur la capture des esclaves en Afrique, je vous conseille l'excellent La Saison de l'ombre de Leonora Miano.



Si les salles consacrées à la Révolution françaises n'oublient pas de parler des massacres de Nantes commis durant la Terreur, une place est également faite à la difficile abolition.

J'ai photographié ces citations extraites des cahiers de doléances, qui illustrent bien la situation (articles 12 et 81 de 2 cahiers différents) : Il n'y aura plus aucun esclave en France, ni dans les colonies françaises de l'Amérique et Les navires négriers seront protégés pendant le temps de leur traite à la côte d'Afrique.


Les débats sur l'esclavage sont en cours durant tout le siècle, même si la thématique met du temps à être abordée par la loi. Le décret du 16 pluviôse an II (4 février 1794) abolit l'esclavage. Dans les colonies, le décret est appliqué avec diversité : en Martinique par exemple il faut attendre que l'île tombe sous domination anglaise pour que ce soit effectif.

Bonaparte rétablira l'esclavage qui ne sera définitivement aboli qu'en 1848.

Un sujet abordé par Alejo Carpentier dans son roman Le Siècle des Lumières.

 

La première insurrection des esclaves éclate en août 1791 sur l'île de Saint-Domingue (même si l'on sait que les esclaves ont toujours lutté, de diverses manières, contre le sort qui leur était fait et qu'ils sont loin d'avoir attendu que l'on ait la bonté de les délivrer). Les plantations flambent comme le montre cette gravure datée de 1795 mais illustrant les événements de 1791, Le Cap français brûle.

L'exposition présente plusieurs objets liés à Toussaint-Louverture. 


Il existe de nombreuses versions de ce tableau de Joseph Brêche (1793) montrant un esclave, collier au cou, vêtu de l'habit républicain. Le collier peut être un code iconographique sans réalité concrète, signalant au spectateur que l'on a affaire ici à un esclave ou à un ancien esclave, mais quand même !


Un bol aux couleurs de la Société des amis des Noirs, première société antiesclavagiste et abolitionniste de France, fondée en 1788.


Et puis en ville, les hôtels particuliers.


Nous nous sommes rendues également au mémorial de l’abolition de l’esclavage, situé le long de la Loire, lieu d’embarquement et de débarquement des navires. Il s’agit d’une longue esplanade où les noms des bateaux négriers et les noms de comptoirs de vente et d’achat d’esclaves sont simplement apposés sur le sol. Cela n’a l’air de rien, ce n’est pas spectaculaire, ni émouvant, mais quand après 5 minutes, puis 10, on continue à voir des noms de bateau, on a une idée de l’ampleur de la traite. 

Le mémorial a été créé en 2012 par Krzysztof Wodiczko et Julian Bonder. 2000 plaques de verre ont été installées au sol, avec 1710 noms de navires et 290 noms de comptoirs et de ports de vente.

 

Je me rends prochainement à Bordeaux. Je reverrai d’un œil plus aiguisé les salles du Musée d’Aquitaine. Je sais que le sujet y est traité, mais mon souvenir est moins marquant.

La semaine prochaine, nous restons au château des ducs de Bretagne, mais dans une thématique plus légère (mais cependant étroitement liée à ce commerce indigne) : celle des petits gâteaux.


5 commentaires:

keisha a dit…

Fichtre, la sculpture sur l'hôtel particulier (tu as l'oeil). Une visite éprouvante, aussi, je le sens.

Ingannmic, a dit…

Du coup, le parallèle avec Bordeaux va être très intéressant, oui ! Il faut que je réponde à ton mail d'ailleurs, je m'en occupe ce week-end..
J'ai visité la Château des Ducs en sortie scolaire, autant dire si ça remonte, et jamais depuis, mais tu m'as donné envie d'y retourner la prochaine fois que je monte chez mes parents.

Tu sais quand tu publieras ta note sur Sonnenschein ? Elle est encore à l'état de brouillon chez moi, mais je pense la terminer pour cette semaine..

nathalie a dit…

Ce sont seulement deux salles du château, pas l'intégralité, mais elles sont très fortes, et il y a clairement un changement d'ambiance avant et après les avoir visitées.

nathalie a dit…

Je l'ai visité deux fois et je trouve la visite vraiment très intéressante et très bien faite.
Pour Sonnenschein, je pense publier mon billet mardi, mais je peux le mettre jeudi si tu préfères.

Ingannmic, a dit…

Non, ne change rien, j'essaierai de le publier pour mardi, ça devrait le faire !... (pas facile à résumer ce titre, hein ?!..)