La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 8 juillet 2022

Il s’élevait au-dessus du sol et planait de plus en plus haut.

 Isaac Bashevis Singer, Le Magicien de Lublin, traduit de l’anglais par Gisèle Bernier, écrit en yiddish, première parution en anglais en 1960.

 

Yasha est magicien en Pologne, c’est un juif plein de doutes et d’interrogation et il a plein de maîtresses et une femme qu’il chérit. Voilà qu’il rencontre Emilia, une veuve de professeur, avec qui il s’enfuirait bien en Italie. Mais pour cela il faut de l’argent, beaucoup d’argent.

Un Singer que j’ai lu en diagonale. D’abord je n’aime pas trop les récits où le fil narratif est trop prévisible et puis je n’aime pas du tout la fin.

Bon.
Ceci dit, j’ai lu le début avec grand plaisir, car ce roman comporte quand même pas mal de qualités. Yasha est un personnage intéressant et attachant. Juif, n’ignorant pas les études et les réflexions théologiques, doutant du bien-fondé de tous ces rites, qu’il ne rejette pas pour autant, car les juifs modernes l’insupportent, sceptique vis-à-vis de Dieu, mais cherchant un espoir et un principe de vie. Cédant à toutes les femmes et à toutes ses fantaisies, assez égoïste, y compris dans son acte de foi, mais plein d’humour et d’intelligence dans ses rapports avec les autres. Je ne comprends pas comment l’antisémitisme d’Emilia ne lui crève pas les yeux. Toutes ses interrogations le rendent proche de nous. C’est un beau personnage.

Et puis, c’est tout le monde de Varsovie et des campagnes qui est dépeint de façon assez habile.

 

Pendant un instant Yasha s’attarda devant la porte ouverte, respirant l’odeur composite de la cire, du suif et de la moisissure – quelque chose qui lui rappelait son enfance. Des Juifs – une communauté entière – s’adressant à un dieu que nul ne voyait. Malgré les calamités, les famines, la pauvreté et les pogromes qu’Il leur réservait, ils exaltaient sa miséricorde et sa compassion et proclamaient qu’ils constituaient son peuple élu. 

 

Chagall Souvenirs de l'enfance 1924 Ottawa


Comme je n’étais pas vraiment satisfaite de cette lecture et que je sais que Singer peut faire mieux, je me suis lancée sans attendre dans un second titre :

 

Retour rue Krochmalna, traduit de l’anglais par Marie-Pierre Bay et Nicolas Castelnau-Bay, parution originale en yiddish en 1972, édité en France par Stock.

 

Max est de retour à Varsovie avec sa femme Flora. Il a fait fortune à Buenos Aires et revient voir ses amis de jeunesse. Bien vite, on comprend que la richesse ne provient pas tant de l’usine de sacs que d’un bordel et d’une activité de traite des femmes et qu’il souhaite lui-même choper une gentille petite maîtresse, tout en étant très amoureux de son épouse. Las. Rien ne se passe comme prévu.

Max rencontre d’abord une anarchiste, apprend des choses sur Flora, s’enfuit avec une gamine de 15 ans, ne sait plus où il en est. Surtout son meilleur ami est très malade et n’en a plus pour longtemps. C’est la fin d’un monde.

Ce roman ressemble étonnamment au Magicien, tout en étant meilleur ! Les lire à peu de temps d’écart m’a permis de les rapprocher. Max n’est sans doute pas aussi intelligent que Yasha, mais il se pose beaucoup de questions. Il y a aussi le thème du contraste entre la provinciale Varsovie et les autres métropoles du globe (Paris, Londres, New York et surtout Buenos Aires où les juifs sont nombreux), celui de la traite des femmes pour les bordels argentins, le double standard de la sexualité admise pour les femmes (aucune) et les hommes (plein) et celui de la progressive perte de sens du héros.

Ce dernier volet est sans doute celui qui intéresse le plus l’auteur, mais il a tendance à m’agacer. J’ai du mal à suivre les atermoiements d’un homme pas forcément sympathique et assez égoïste, qui voit sa vie lui filer entre les mains et qui fait et défait ses choix et qui perd peu à peu ses repères sans parvenir à reprendre pied. Il s’agit pourtant du portrait d’hommes d’âge mûr, avec une certaine réussite financière, même si leur assise sociale reste fragile ou inavouable, qui peinent à trouver une place dans leur monde. C’est aussi un temps de mobilité sociale, où les paysans s’installent en ville, où les voleurs s’embourgeoisent, où les juifs se fondent dans la masse, où l’agitation révolutionnaire secoue les autorités. Singer peint ce temps où les individus et la société vacillent sur leurs bases sans parvenir à trouver un nouveau modèle de stabilité. Bon, ce n’est pas forcément mon dada quand le thème est traité par ces longs monologues intérieurs.

 

Max entendait parler polonais, russe, français. Aux yeux de Meïr Crème Aigre et de Srulke le Jars, il faisait figure d’homme du monde mais, là, il se sentait tout petit. Il ne parlait rien d’autre que son modeste yiddish. Personne ne l’aurait pris pour un client fortuné de l’hôtel Bristol. Il avait remarqué que les membres du personnel s’y moquaient de son très mauvais polonais.

 

Ces récits ont été rédigés en yiddish à une date pas toujours connus, traduits en anglais par un ou une inconnu.e à une date pas toujours connue, et publiés en anglais et/ou en yiddish, sachant que Singer a toujours indiqué qu’il fallait s’appuyer sur le texte anglais pour les traductions dans les autres langues. Ça explique un peu le fouillis des dates de parution.


Une lecture initiée par Passage à l'Est !

 

De l’auteur je recommande :

La Couronne de plumes et autres nouvellesépisode 1 et 2 et 3 - que j'ai assez envie de relire, vous n'êtes pas à l'abri d'un quatrième billet.

Keila la Rouge : un excellent roman !

 

8 commentaires:

  1. Allons bon, je voulais lire le second, mais ça put attendre; Cependant j'en ai lu, de l'auteur, il y a longtemps! j'aimais bien l'atmosphère.

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    1. Mais lis-le, fais-toi plaisir ! C'est un auteur que j'aime bien aussi.

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  2. j'aime cet auteur et je partage ton point de vue Retour rue Krochmalna est vraiment excellent

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  3. Je suis embarquée avec la famille Moskat et cela me plaît bien. Amusant de savoir que Singer nous occupe tant

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    1. Je ne crois pas l’avoir lu celui-ci.

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  4. Donc tu vas lire L'esclave, et moi je vais lire Keila la rouge, c'est bien ça la conclusion de notre lecture commune (pour laquelle merci!)?

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    1. Ah mais je ne conclus rien du tout. J'ai lu tous les Singer présents dans ma bibliothèque. Bien sûr, comme je fréquente d'excellentes librairies et que Stock (re)publie tous les ans des romans de Singer, on n'est pas à l'abri de l'apparition d'un nouveau titre. Nous verrons bien.

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