La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 5 juillet 2022

Loin devant, aux confins de la vue, un prodigieux roc bleu s’étirait jusqu’aux cieux.

 James Meek, Vers Calais, en Temps ordinaire, traduit de l’anglais par David Fauquemberg (chapeau !), parution originale 2019, édité en France par Métailié.

 

Dans le sud de l’Angleterre, en 1348, un petit groupe essaie de rejoindre Calais, conquis par les Anglais après la bataille de Crécy. Une demoiselle de petite noblesse fuit un mariage arrangé et part retrouver celui qu’elle pense être un amoureux – elle-même l’aime-t-elle tant que cela ? Will, à moitié serf, à moitié homme libre, rejoint une compagnie d’archers en route pour la France. Sait-il pourquoi il est si désireux de partir ? Un homme, une sorte de clerc, s’apprête à rejoindre Avignon. Il envoie des lettres, mais il a beaucoup à confesser. Les archers constituent un groupe violent, marqué par la faute – Dieu leur accordera-t-il le salut et leur permettra-t-il de rejoindre la France ? Il y a aussi un porcher qui prend souvent l’allure d’une servante. Il y a surtout la peste qui monte depuis la France et vient à leur rencontre.


La plupart des nobles de ma connaissance confesseraient plus volontiers avoir pissé sur un autel qu’ignorer quoi que ce soit.


Un excellent roman qui marie différents thèmes. Celui du travestissement, celui de l’identité, fluctuante et mal définie, celui du désir qui se transforme et se dissimule. C’est un roman d’apprentissage, le récit d’une quête, un roman à la Chrétien de Troyes.

C’est surtout un roman marqué par une langue inouïe, recréée par l’auteur. Il ne cherche pas à singer la langue médiévale, mais je dirais qu’il tord la langue d’aujourd’hui pour y inclure des mots et des tournures de cette époque-là. Le résultat est quelque chose d’un peu étrange. La première page nous déroute un peu, mais ensuite, nous y voilà plongés. Cette langue aux allures médiévales sans en être nous permet de nous plonger dans un climat d’étrangeté.


Deux religieux de Gloucester étaient cause du chahut. L’un menait un chariot, l’autre battait tambour. Le prêtre venait en découvre, car nul autre n’avait le droit de confesser les gens d’Outeen Green, et il serait plutôt mort que de laisser brader l’amour du Christ, même d’un demi-penny, sous le coût exigé de lui.


Raconté ainsi, tout semble un peu différent et onirique. C’est que les jeunes nobles jouent au Roman de la Rose qui leur sert de modèle de comportement. Il y a d’ailleurs une fête autour de ce roman, qui est tout à fait surréaliste, avec l’irruption de Vénus et d’un cochon. Les archers portent des signes étranges sur le corps qui font comprendre que leur violence les place à part de la société. Surtout, la peste désorganise la société et introduit la folie au cœur des villages et des châteaux (comme dans Le Hussard). Certains débats théoriques sur la faute et le pardon nous passent un peu au-dessus de la tête, mais la langue introduit le doute et la fantaisie dans le récit. Le tout avec une certaine poésie.

Il y a le récit de la bataille de Crécy.


Et vous voilà tous mourant d’envie de vous échapper un temps de vos conditions respectives, de franchir le rideau doré ouvrant sur le domaine du Jeu, où chacun peut être un autre et où tous peuvent s’adresser à n’importe qui.


Ivoire, Assaut du château d'Amour, vers 1300 Cluny 
La distinction entre les hommes et les femmes, les nobles et les serfs, les lâches et les courageux, les clercs ou assimilés n’est pas nette, la distinction même entre Français et Anglais est floue puisque tout ce monde-là parle la même langue, les serfs avec plus d’anglais, les nobles avec beaucoup de français, on passe d’une identité à l’autre et on vit le grand rêve d’aventures du roman.
(pour un peu on penserait au XVIIe siècle - la vie est un songe)
 

Quand les archers avaient débarqué à Heytesbury, dimanche en fin de matinée, le bourg leur avait donné l’impression d’être en proie à la folie, comme si ce n’était point le fléau qui étourdissait les habitants par sa funeste précipitation, mais que les gens avaient d’emblée perdu la tête et aggravé la maladie plus qu’elle n’aurait dû l’être à cause de cet égarement. Mais à la nuit tombante, l’humeur des archers a changé. Quand ils ont vu par eux-mêmes combien cruelle était la peste, il ne leur a plus semblé que les gens du bourg étaient fous ; ils semblaient au contraire ne l’être point assez.

 

Cet article est assez critique envers la traduction. Même si je partage en partie (les joutes oratoires m'ont paru assez lourdes) et même si je ne doute pas que le texte original soit beaucoup riche et hétérogène que sa version française, je le trouve exagéré. Pour ma part, je suis pleinement entré dans le roman.

 


12 commentaires:

  1. A lire ton billet, qui m'a donné envie, je me suis dit 'ça a dû être coton à traduire' , alors tu penses bien que l'article cité en fin de billet était ce qu'il me fallait! L'essentiel étant quand même que tu aies aimé ce roman; à relire en vO? ^_^

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    1. Doit falloir être fortiche en anglais, s'il y a des mots de l'anglais ancien ! Mais vas-y, lance-toi !

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    2. Ça a été écrit en 2019 hein, mais l'auteur a repris des tournures anciennes. L'article que je cite donne quelques précisions à ce sujet;

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  2. Il pourrait bien m'intéresser, pour son originalité, et j'avais beaucoup aimé "Un acte d'amour" de cet auteur.

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    1. Ah tiens il faudra que je regarde de quoi il s'agit. Je ne le connaissais pas du tout pour ma part.

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  3. J'ai un petit meuble tournant qui contient ma Pal il est saturé évidement et ce livre est dessus ! chic je vois que tu as aimé même si la traduction n'est pas parfaite, j'avais aimé un roman précédent de l'auteur et celui là je l'ai acheté à cause de l'époque où le roman se déroule

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    1. Décidément vous êtes plusieurs à connaître !
      Tu as de la chance si ta PAL tient sur un "petit" meuble. Ici, c'est une bonne part de la bibliothèque.

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  4. j'ai adoré le coffret de l'assaut du Château d'Amour à Cluny!

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    1. Il est très célèbre ! De façon totalement justifiée.

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  5. Je lis souvent les articles de James Meek dans le London Review of Books. Il y parle Russie, Ukraine, Etats-Unis, XXIe siecle... et j'en avais fini par penser que ce livre parlait de migrations contemporaines. Je vois que je me trompe lourdement!
    Ta chronique me fait penser à un vieux roman polonais, qui se passe au temps de la croisade des enfants. Tu le reconnaitras peut-être quand j'en publierai ma chronique cet automne.

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    1. Je vais essayer de rester au taquet pour le roman polonais alors.

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