La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 29 septembre 2022

Le soir, le silence sous l’arbre n’est qu’apparent.

 Ryszard Kapuściński, Ébène. Aventures africaines, traduit du polonais par Véronique Patte, parution originale 1998.

 

Un recueil de textes du journaliste sur le continent africain (on dira Afrique noire, sans le Maghreb ni l’Égypte). Une plongée dans le continent.

Zanzibar, Rwanda, Éthiopie, Soudan, Mali, etc.… Kapuściński sillonne l’Afrique, d’un reportage à un autre, toujours sur les territoires de guerre ou de coup d’État ou de guerre civile. Il raconte des événements que l’on a pu oublier parce que lointains et/ou difficiles à appréhender à la simple lecture d’un article. Ce sont des pages terrifiantes, pleines d’enfants soldats, de milices, de cadavres abandonnés. Les détails de l’histoire du Liberia font frémir.


Les autocars sont bariolés de dessins aux couleurs vives. La cabine du chauffeur et les ridelles sont peinturlurées de crocodiles découvrant des dents acérées, de serpents dressés prêts à l’attaque, de volées de paons caracolant dans les arbres, d’antilopes poursuivies dans la savane par des lions féroces. (…) Mais ce qui frappe surtout, ce sont les inscriptions. Elles défilent, ornées de festons, immenses, visibles de loin, car elles pour but de solliciter ou d’avertir. Elles concernent Dieu, les hommes, les devoirs et les interdictions.


J’ai été plus intéressée par les pages qui s’éloignent de l’actualité – parlerait-on de l’Afrique uniquement lorsqu’elle est en guerre ? J’ai aimé les récits de voyage, les interminables voyages en autobus ou en camion, la recherche de logements, la description de la vie des gens, de leur façon de se débrouiller pour manger, etc. Si l’Afrique est un continent noir, ce n’est pas tant à cause de la couleur de peau de ses habitants qu’à cause de la sécheresse qui pousse les paysans à rejoindre les villes, des bidonvilles de tôle, des cafards géants qui envahissent toutes les habitations, de l’absence de perspective. J’ai eu la sensation que le regard de Kapuściński était très sombre lui aussi, peut-être par imprégnation de son travail. Les années de la Somalie et de la longue guerre d’Érythrée sont épouvantables. D’autres descriptions du continent mettent en avant le dynamisme d’habitants vivant malgré leurs dirigeants (qui sont tous ici étrillés impeccablement) et parvenant à se tracer un présent et un avenir. En l’occurrence, le recueil me semble particulièrement négatif.


Si les soldats ou les policiers crient ou cognent d’emblée, cela veut dire que le pays est aux mains d’une dictature ou qu’il y a la guerre. Si en revanche ils s’approchent, sourient, tendent la main en disant aimablement : « Vous devez savoir que nous gagnons très peu d’argent », cela signifie que nous traversons un pays stabilisé, un pays démocratique où se déroulent des élections libres et où les droits de l’homme sont respectés.

Madiba & Nature, Écoboat.
Utilisé au Cameroun pour le transport et la pêche, résultat de l'ingénierie et de la débrouille.

Là où j’ai particulièrement calé, c’est sur les généralités sur l’Afrique historique, où les hommes vivaient isolés, sans écriture, sans réseau de communication, etc. Bon Kapuściński n’a pas lu Fauvelle, contrairement à moi, d’accord, mais certains passages m’ont donné l’impression d’avoir été écrits 50 ans avant leur date réelle d’écriture. Je m’interroge sur cette coexistence entre la description complète, précise, documentée de la vie d’individus et la vision généraliste nourrie de clichés. Je regrette ce point, car il est probable que ses articles, si évocateurs, si littéraires, si propres à parler d’une vie dans un lieu inconnu de nous, aient contribué à donner une vision du continent particulièrement erronée aux lecteurs occidentaux, vision dont on souffre encore aujourd’hui.

Je retiens particulièrement : la description du paludisme, les prénoms des gens avant la colonisation, le fait d’être blanc dans un endroit où tout le monde est noir, l’importance de la culture de la vache, les femmes au marché, l’histoire du Rwanda, l’insistance sur la faim.

Toujours est-il que c’était une lecture très intéressante.

 

Partout les distances sont immenses, partout c’est le désert, la solitude, l’infini. Il fallait parcourir des centaines, des milliers de kilomètres avant de rencontrer d’autres hommes. Aucune information, aucune connaissance, aucune invention technique, aucun bien, aucune marchandise, aucune expérience, ne pénétrait le pays, ne trouvait son chemin. Il n’existait pas d’échanges permettant de participer à la culture mondiale. Lorsqu’il y en avait un, c’était un pur hasard, un événement, une fête.

(peut-on écrire un truc plus bête que ça ?)

 

Mon billet sur L’Afrique ancienne, livre d’histoire collectif dirigé par François-Xavier Fauvelle. Il est écrit page 375 : « C’est heureusement devenu une banalité de ne plus considérer l’Afrique subsaharienne comme un monde sans écritures. » Si le sujet vous intéresse, vous pouvez vous contenter d'écouter cette émission de radio.

 

Dans son billet Ingannmic met en avant à juste titre le côté « aventures » de cette compilation de récits. Nous ne sommes pas dans des articles journalistiques, mais dans des récits littéraires et documentés.



8 commentaires:

Dominique a dit…

un livre qui m'avait beaucoup intéressé lors de sa parution mais il faut dire que je ne connais rien à l'Afrique et ça ne m'attire pas plus que ça, je ne suis pas curieuse des pays africains sans que je sache pourquoi donc ce livre m'avait un rien augmenté ma culture par contre je vais aller relire ton article sur Fauvelle

Ingannmic, a dit…

Il faut que je lise Fauvelle, alors..

nathalie a dit…

Commence par écouter l'émission de radio ! Sinon Le Rhinocéros d'or vient d'être réédité et c'est l'occasion, cela se lit très facilement et c'est très stimulant.

nathalie a dit…

Je ne connais pas grand-chose non plus. Je pense qu'il est très bien pour les faits politiques, militaires, les tranches de vie, mais pas du tout pour la vision générale qui est empreinte de clichés éculés.
Je pense que tu aimerais Le Rhinocéros d'or.

Passage à l'Est! a dit…

Ton billet est très intéressant, merci. Je suis sûre que, si on renversait la situation en envoyant des "Africains" des siècles passés dans des contrées un peu reculées d'Europe, ils pourraient décrire (ou se représenter) des situations bien similaires à celles de ta dernière citation. Je n'ai pas (encore) écouté l'émission France Culture, mais je recommande aussi le documentaire de la BBC sur les grandes civilisations d'Afrique (https://www.bbc.co.uk/programmes/b0b5b4vy). Je suis en train de lire le livre de Lacarrière sur Hérodote et cela me fait penser que Kapuscinski a aussi "voyagé" avec Hérodote: d'après ta liste d'auteurs tu n'as lu ni l'un ni l'autre?

nathalie a dit…

En effet, je n'ai rien lu de tout ça. Je sais qu'il y a un grand mouvement chez les historiens de l'antiquité en ce moment pour dire que finalement Hérodote n'a pas tant raconté n'importe quoi (après une période où c'était l'inverse) mais c'est tout.

keisha a dit…

Un livre qui m'avait enthousiasmée à l'époque (époque où j'habitais en Afrique), faudrait voir... Ah oui le Liberia, quelle horreur...

nathalie a dit…

Comme je dis, j'ai apprécié une bonne partie du livre, hein, mais pas tout.