La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 27 octobre 2022

Je suis naturellement haïsseur d’inventions.


Jules Barbey d’Aurevilly, L’Ensorcelée, 1852 (publié d’abord en feuilleton).

 

(oui, je poursuis dans le normand)

Quelques années après la Révolution, le narrateur traverse de nuit la lande de Lessay (paumée dans le Cotentin) en compagnie d’un local qui lui raconte l’étrange histoire de l’abbé de la Croix-Jugan. Toutefois, le narrateur ne répète pas exactement ses propos, puisqu’il a pris le temps de rencontrer d’autres témoins, avant de coucher le tout par écrit plusieurs années après. Et donc…


Ce mot de Chouans, jeté là en passant comme un souvenir de hasard, par cette énergique veste rousse qui avait peut-être, dans sa jeunesse, fait le coup de fusil par-dessus la haie avec eux, évoqua en ce moment, aux yeux de mon esprit, ces fantômes du temps passé devant lesquels toute réalité présente pâlit et s’efface.


Dans le village de Blanchelande, peu après la Révolution, à la réouverture des églises, il est question d’un abbé à la réputation sanglante, puisqu’il a chouanné, d’une femme de la noblesse contrainte par la pauvreté et les événements à épouser un homme ayant acquis les biens de l’Église, d’une ancienne courtisane regrettant les nobles d’antan et d’un village particulièrement arriéré. Il y a de l’amour irraisonné, de l’orgueil plus que tout, des caractères exacerbés et de la vengeance et du ressentiment postrévolutionnaires, mais aussi du surnaturel !

Un roman marqué par la cruauté, mais aussi par le regret de l’ancien temps, celui de la monarchie et du catholicisme triomphants.

Liotard, Mme Tronchin, pastel, Louvre

- C’est drôle alors ! fit Nônon, marchant de conserve avec Barbe et comme se parlant à elle-même.

- Qui ? drôle ? repartit Barbe curieuse, avec un filet de vinaigre rosat dans la voix.


C’est un récit très bien mené, non pas tant pour son suspense, assez limité, que pour la peinture des caractères et de l’ambiance générale. Il y a des détails très crus et d’une grande violence, mais aussi des évocations fantastiques. Ici encore, Barbey évite certaines de ses préciosités habituelles et nous régale de patois normand, ce qui rend le récit particulièrement vivant.

Il y a plusieurs évocations assez puissantes. Le côté « fantastique normand » pousse à rapprocher ce roman de certaines nouvelles de Maupassant, même si Barbey n’est pas un auteur réaliste et a davantage tendance à marquer ses effets et à en faire des tonnes sur les aspects violents et/ou surnaturels.

Cette technique de récits enchâssés et de recueils de témoignage apparaît aussi dans Le Chevalier des Touches.

 

Une vieille femme, verte et rugueuse comme un bâton de houx durci au feu, vint au seuil et me demanda qui que j’voulais, d’une voix traînante et hargneuse.


Jules Barbey d'Aurevilly est bien représenté sur le blog :

Les Diaboliques (c'est par celui-là qu'il faut commencer)
Un prêtre marié


 

6 commentaires:

keisha a dit…

Oui, ce n'est pas la première apparition de l'auteur ici!

Ingannmic, a dit…

C'est avec ce titre que j'ai découvert l'auteur. J'ai beaucoup aimé, oui, cette atmosphère ténébreuse et la dimension maléfique et surnaturelle d'un héros que l'on entrevoit à peine...

nathalie a dit…

J'ai des idées fixes comme cela.

nathalie a dit…

Exactement, on ne sait rien du personnage principal et il y a une atmosphère terrifiante autour de lui.

Patrice a dit…

Il y a peu de blogs où l'on peut lire des chroniques sur Barbey d'Aurevilly, je suis heureux que tu le fasses. J'ai toujours "Les diaboliques" sur ma liste. Je me suis fixé de lire quelques classiqus français l'an prochain, assurément il fera partie du lot. Merci pour cette belle chronique !

Nathalie a dit…

C’est un plaisir. J’en ai téléchargé encore un ou deux, donc je ferai des piques de rappel.