Anna Seghers, Transit, écrit en 1941-1942, première parution en anglais et en espagnol en1944, première parution allemande en revue en 1947, traduit de l’allemand par Jeanne Stern.
Marseille, 1940.
C’est le sujet du roman, il est à peine nécessaire d’en dire plus. Nous sommes dans la nasse, là où se pressent tous ceux qui fuient ou qui voudraient fuir, de toute provenance, pour n’importe quelle destination, par n’importe quel moyen.
Il est tout à fait dommage, n’est-ce pas, que ce roman soit écrit avec les pieds et que la narration soit aussi plate. Bref.
Je m’étais toujours demandé, au cours des derniers mois, où pouvaient bien se déverser ces rigoles, ces égouts de tous les camps de concentration, ces soldats épars, les mercenaires de toutes les armées, les profanateurs de toutes les races, les déserteurs de tous les drapeaux. C’était donc ici que cela se déversait, dans ce canal, la Canebière, et, par ce canal, dans la mer, où il y avait enfin de l’espace pour tous, et la paix.
Ceci étant dit, je pense que le roman transcrit mieux que ne le ferait n’importe quel livre d’histoire l’absurdistan administratif qui s’empare de la ville. Pensez que pour fuir il faut qu’un pays vous accorde un visa, que les pays que vous traverserez sans vous y arrêter vous accordent un transit, que la France et pourquoi pas l’Allemagne vous donnent une autorisation de sortie, qu’il y ait un bateau, que vous possédiez un billet, et que les dates de tout cela concordent. Et que vous prouviez ceci. Et cela. Et aussi ceci. Ne soyez pas une femme seule. Et la police ne vous autorisera à rester à Marseille que si vous prouvez que vous voulez en partir.
Il me semblait que c’était le dernier feu, la dernière auberge du vieux continent qui nous donnait asile, oui, et un dernier répit pour nous décider à rester ou à partir. Les murs étaient saturés d’innombrables sursis donnés ici même à d’innombrables hommes, afin de leur permettre de réfléchir, une dernière fois, devant le feu, à l’essentiel : ce qui les retenait.
Le héros est le narrateur, un Allemand dont on ne sait quasiment rien, sinon qu’il s’est enfui d’un camp. Il donne l’impression d’être là par hasard, de s’être laissé emmener là comme par un fleuve. Il regarde l’effervescence des consulats avec détachement, ne parvenant pas à prendre tout ce cirque au sérieux, jusqu’au jour où il voit Marie. Marie, celle qui court comme une ombre devant le mistral et parcourt toute la ville sans jamais se poser. Alors le narrateur plonge vraiment dans le jeu des files d’attentes et des entourloupes et des espoirs déçus, avec ce sentiment d’urgence, car tout le monde sait que les nazis approchent.
Le livre a des airs de longue déambulation à peine interrompue par les ersatz de café. Et la ville ? On en voit les bars, la Canebière, les rues du quartier qui a été détruit en 1943, le mistral surtout qui règne en maître, le pont transbordeur qui n’existe plus, la pizzeria. Le camp des Milles est une ombre à l’arrière-plan. Dans ce contexte, pas de soleil. Marseille semble si sombre alors.
C’est un classique de la bibliographie marseillaise. Je suis très contente de l’avoir enfin lu, car il est vraiment intéressant, même si ses qualités littéraires me paraissent très dispensables.
On part toujours de Marseille. |
Partir, partir de ce pays écroulé, de cette vie écroulée, de cette planète ! Les gens vous écoutent avidement tant que vous parlez de départs, de bateaux capturés qui jamais n’arriveront au port, de visas achetés et de visas falsifiés, et de nouveaux pays de transit. Tous ces racontars servent à abréger l’attente, car les gens sont rongés par l’attente. Ce qu’ils écoutent de préférence, c’est l’histoire de bateaux partis sans eux, mais qui, pour une raison quelconque, n’ont jamais atteint leur but.
Une autrice. Bon pour les feuilles allemandes d'Eva, Patrice et Fabienne.
Heu, faut être e Marseille pour suivr? ^_^
RépondreSupprimerBah non, pourquoi cette question ?
SupprimerComme ton billet me rassure ! Je l'ai lu il y a quelques années ; on me l'avait vendu comme un quasi chef d'œuvre, et je me suis ennuyée ferme... oui, ce style terne, et je ne m'en souviens pas en détail, mais en plus c'est pas un peu brouillon d'un point de vue narratif ? Dommage, le sujet est en effet intéressant.
RépondreSupprimerOui le côté brouillon ne m’a gênée, car il est en accord avec ce qui est raconté, qui ne répond à aucune logique humaine.
Supprimerje n'ai pas lu Transit mais j'ai un souvenir très fort de l'Excursion des jeunes filles qui ne sont plus un livre magnifique et terrible que je te conseille si tu ne l'as pas déjà lu
RépondreSupprimerAh tiens je vais voir de quoi il s’agit alors. Merci de l’information.
SupprimerJe confirme pour l’Excursion des jeunes filles - c’est une excellente nouvelle !
SupprimerMince, je m'étais dit l'année dernière que j'allais lire Anna Seghers pour ces Feuilles allemandes. Trop tard maintenant.
RépondreSupprimerC'est vrai que l'histoire des bateaux sur lesquels on n'a pas pu embarquer mais qui ont coulé revient assez souvent. Par exemple dans Les beaux jours de l'enfer, de Faludy.
Je m’aperçois que cette citation que j’ai choisie illustre parfaitement le roman ! Je vais me renseigner sur le titre que tu cites et il faut que je prenne le temps de lire tous les billets parus pendant mes vacances aussi.
SupprimerMerci beaucoup Nathalie pour ce billet intéressant ! Je n’ai pas encore lu Transit, il faut d’abord que je lise La septième croix qui m’attend ici depuis plusieurs années. Peut-être l’année prochaine?
RépondreSupprimerIl existe aussi une adaptation cinématographique (Transit, 2018). Tu l’as vu ?
Pas vu le film non. C'est vrai que La Septième croix est son titre le plus connu, mais j'avoue qu'après celui-ci je ne suis pas trop tentée. J'attends ton billet de l'année prochaine alors !
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