La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 12 janvier 2023

Mais peut-être n’est-elle que voyageuse géographe – géographe de terrain, s’entend.

 Françoise Lapeyre, Le Roman des voyageuses françaises (1800-1900), 2007.

 

Ah les baroudeurs, explorateurs, bourlingueurs du XIXe siècle ! Et les excentriques anglaises que l’on lit avec délices ! Oui, mais les Françaises ? Elles existent. Elles sont plusieurs dizaines à avoir voyagé et à l’avoir raconté dans des livres et des articles. Lapeyre nous en dresse un panorama.


Les voyageuses connaissent l’agréable frisson d’être à la fois de bonnes épouses qui suivent leur conjoint et des femmes transgressives qui enfreignent les lois de l’ordre domestique.


Épouses de fonctionnaire colonial prenant pleinement part aux dangers du voyage (choléra, attaque d’Indiens, paludisme, etc.), mais aussi aux activités du mari, notamment dans le cas de scientifiques (il faut bien quelqu’un pour relever, décrire, cataloguer, dessiner), au point de devenir membres de sociétés savantes et de l’Académie de géographie, pélerines en route pour Jérusalem, missionnaires et épouses de missionnaires perdues sur le continent africain, commerçantes, riches veuves se distrayant, etc. Leur profil socioéconomique est assez divers, tout comme les conditions de leur voyage et l’intérêt littéraire variable de leur récit. Mais elles ont quelques points communs : elles ont toutes dû affronter les kilomètres avec l’impossibilité de se laver, le campement en ayant ses règles et en étant environnée d’hommes, la promiscuité et elles sont presque toutes effacées des anthologies de récit de voyage (seuls 2-3 noms m’étaient connus).

Manet, Jeune femme à la pèlerine, 1881 Lyon BA

Les femmes sont comme les hommes et s’inscrivent dans leur temps. Elles font preuve de sexisme, de racisme, d’antisémitisme, comme les autres, se faisant très bien à l’esclavage s’il le faut. Et puis d’autres, pas du tout. En tant que femmes elles peuvent accéder à des zones interdites aux hommes, c’est notamment le cas des harems. La description des harems par les femmes est bien différente de celle des hommes, lieux d’enfermement et d’asservissement, et non plus d’érotisme torride.


En Asie centrale tout le monde se sert : les marchands d’esclaves entraînent les Circassiennes vers les harems turcs et les archéologues emportent avec eux les trésors des fouilles.


Il y a un chapitre sur le costume. La plupart d’entre elles ont porté le pantalon et le revolver, mais le nient farouchement une fois revenues – ce n’est pas convenable.

Une lecture informative plus que réellement palpitante, mais qui est très utile pour nettoyer quelques clichés. Lapeyre a une plume volontiers ironique. C’est une agréable lecture de train !

Et je note plusieurs photographes.

 

Elle aime relever le défi de ce voyage dont tout le monde a voulu la détourner. Ainsi, dans une pauvre station de garnison grillée de soleil, elle organise si bien son intérieur que rien ne manque du décor métropolitain, ni les divans, ni les miroirs, ni les petits cadres, ni le piano, ni les rideaux. En brousse pour plusieurs mois, elle maîtrisera totalement l’intendance, les douches quotidiennes de la famille, les soins à tous en cas de maladie, la nourriture de trente-neuf personnes plus celle des chevaux, des ânes, des chèvres et des moutons, des deux singes, du chien et des poules.

 

Des autrices.

 

Ce n'est pas une voyageuse, c'est une émigrée et elle n'a rien écrit. N'empêche que vous serez peut-être intéressés par ce document sur Marie Suize, savoyarde exilée en Californie pour chercher de l'or (partie 1 et partie 2).





 

6 commentaires:

keisha a dit…

Je viens juste de lire Les femmes aussi sont du voyage, le tien complèterait bien . Tu sais que j'en ai lu pas mal (mais pas tout!)

nathalie a dit…

Oui ça doit être la suite logique je pense.

miriam a dit…

Cela m'intéresse bien, je vais le chercher

Passage à l'Est! a dit…

Ca a l'air sympathique et instructif, comme lecture. Et j'imagine qu'à cette époque du XIXe siècle il n'y avait même pas besoin de partir vers des destinations exotiques pour que le voyage soit un "défi" pour une femme, dans un grand pays comme la France.

nathalie a dit…

Le livre traite uniquement des voyages hors Hexagone et Corse (il y a l'étranger et les colonies) mais effectivement le sujet se pose notamment pour la montagne, qui commence à être apprivoisée par les touristes à la fin du siècle.

Nathalie a dit…

C’est intéressant et instructif.