La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 10 janvier 2023

La rédaction de poèmes contemplatifs constamment remaniés.

 Danièle Henky, Maria Borrély, 2022, édité par Le Papillon Rouge.

 

Vous rappelez-vous mes billets sur les romans de Maria Borrély ? Les ReculasSous le vent… Il y a du vent, des femmes et de la Provence.

Enfin, une biographie de l’écrivaine ! Le livre retrace toute sa vie : enfance à Marseille et à Aix-en-Provence, la formation à l’École normale, institutrice dans les villages des Alpes et de Haute-Provence, la vie de famille, l’engagement politique, féministe et syndical, la vie d’écriture, l’amitié avec Giono, etc.


Non seulement, à tout juste dix-neuf ans, elle allait devoir faire ses premières armes dans le métier sans aucune aide, mais il lui faudrait aussi apprendre à vivre dans ce pays si différent de tout ce qu’elle avait connu jusqu’alors.


Tout cela est extrêmement intéressant. Je retiens notamment ce métier d’institutrice dans les écoles à classe unique des villages, quand l’école républicaine devait trouver sa place entre le curé et les élites du village, quand les rapports d’inspection épluchent aussi bien les compétences professionnelles que les mœurs de l’institutrice. Tout l’engagement politique et syndical du couple Borrély est également bien expliqué en ces temps d’ascension du parti communiste, de séparation avec les socialistes et d’engagement pacifiste. C’est que nous sommes dans la première moitié du XXe siècle. Il y a d’abord la Première guerre, puis la montée des fascismes et la Seconde guerre. Les Borrély s’engagent dans la Résistance sans hésiter, accueillant les réunions et portant les messages. Au passage, la position compliquée du voisin et ami Giono est très bien expliquée. 

Je la découvre végétarienne, curieuse du bouddhisme – c’est qu’Alexandra David-Neel est aussi une voisine et une connaissance.

Il est d’ailleurs question de la place des femmes sur la scène intellectuelle, qu’il s’agisse d’écrire des romans ou de la poésie, de faire paraître des articles politiques, de prendre position dans le débat public, d’enseigner (= petite place et bien à sa place SVP). On retrouve ici encore Gide, pour Gallimard, qui obtient de publier la jeune romancière.

Il y a surtout l’écriture romanesque dans la vie de Borrély qui prend de plus en plus de place. Je découvre qu’après avoir publié ses romans elle a voulu tous les reprendre et les réécrire d’une nouvelle manière (nous lisons la première version et je crois que ce n’est pas plus mal). Une écriture nourrie de ses engagements politiques (comme dans Les Mains vides où les chômeurs s’en vont mourir de faim et de solitude à Marseille), mais aussi d’une vision poétique du monde. De façon générale, l’inscription de Borrély parmi un ensemble d’écrivains de province, au cœur de la modernité poétique, mais éloignés des villes et pour beaucoup oubliés aujourd’hui, est très intéressante. 


Le torrent tout blanc, bande d’étalons éblouissants, impétueux, échappés du pays des dieux, crinières flottantes, poitrails écumants, croupes bondissantes, roule en bas sur d’énormes blocs, emplissant tout le val de son immense clameur, hymne puissant à la gloire des monts éternels, mêlé à la voix des innombrables cascades jaillissantes.

Loubon, Vue de Marseille prise des Aygalades un jour de marché, 1853 Marseille BA


Je regrette qu’il ne soit pas fait mention de la langue provençale (avec toutes ses composantes locales) alors qu’évidemment Borrély la parlait et surtout ses élèves ! Les romans sont également emplis de patois paysans, de mots spécialisés des métiers, de provençal. Et je me demande si elle s’est intéressée au sujet ou pas.

Je regrette également que L’Homme semence ne soit pas mentionné. Le journaliste Vincent Quivy a suggéré que Borrély l’avait écrit et l’hypothèse est crédible, mais Henky ne se positionne pas (même pour dire qu’elle ne peut pas trancher) et le livre n’est même pas cité. C’est regrettable pour une universitaire.

ADDENDUM : en commentaire Henky explique pourquoi elle estime que L’Homme semence n’est pas de Borrély. Voilà, on a une réponse !



Je note que le livre s’appuie sur une belle bibliographie, mais surtout sur les archives et manuscrits personnels de l’écrivaine et le témoignage des descendants. Je suis ravie qu’une romancière aussi importante que Borrély ait enfin donné lieu à un travail sérieux et complet. Alors que j’avais lu les romans un peu comme ça, sans savoir vraiment d’où ils sortaient, je constate à présent combien ils s’insèrent dans une existence. Ils ne sont pas pour autant réalistes. En eux se mêlent l’expérience concrète de la vie dans les villages et les sociétés paysannes et le souffle de vie qui anime aussi bien la nature que les humains.

 

Elle a aussi acquis de l’expérience dans son métier qu’elle pratique toujours avec enthousiasme aux côtés d’un époux qui partage ses idées et la conforte dans ses audaces. Tous deux n’ont de cesse d’innover pour faire acquérir à leurs élèves les connaissances qui leur permettront d’entrer dans la vie bien armés, riches non seulement d’un savoir reçu mais expérimenté.

L’engagement politique leur fait faire des rencontres enrichissantes. Des partisans de la paix, des humanistes qui, comme eux, veulent apporter aux moins favorisés les lumières de la culture et éradiquer la misère. Marie lit beaucoup, des textes de militants, des ouvrages de philosophie et de poésie ; elle s’ouvre à d’autres cultures. Et surtout, elle écrit et ne réserve plus ses textes à des cahiers confidentiels. Elle a des tribunes dans plusieurs journaux et sa plume efficace et volontaire dans ses premiers textes se fait de plus en plus métaphorique et personnelle, à mesure qu’elle prend confiance en elle.

 

 Grand merci à l’éditeur Papillon Rouge pour m’avoir proposé ce livre.


Et comme c’est janvier et que c’est le mois des bonnes résolutions, vous allez enfin pouvoir commander l’un de ses romans ! Depuis le temps que je vous saoule avec.

L'Homme semence : à titre de curiosité

Le dernier feu : c'est le premier que j'ai lu, il m'a séduite. Il y a la musique d'une rivière et la renaissance d'un village. C'est un de mes préférés.

Les mains vides : l'errance tragique de 3 hommes sans travail (ce n'est pas le meilleur)

La Tempête apaisée : un huis-clos dans une ferme.

Les Reculas : quand les gens des Hautes-Alpes découvrent les vraies Alpes. Le récit d'un hiver en montage, avec beaucoup de sensualité. Il est très beau, il est solaire, je pense que c’est celui que je préfère

Sous le vent : magnifique, mais tellement triste et cruel.

Ils sont chez l'éditeur Parole


Deux autrices.



15 commentaires:

  1. Rien dans mes biblis. Il faut dire que sans toi je ne connaitrais même pas son nom. Mais connais-tu Raymonde Vincent? Une certaine similitude, des femmes, ancrées peut-être trop dans une partie de la France?

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    1. Je ne connais pas Raymonde Vincent, qui est en effet plus près de chez toi que Borrély, et je note de lire Campagne qui semble son grand titre.

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  2. Campagne, oui, prix Fémina quand même.
    J'ai lu Hélène
    https://enlisantenvoyageant.blogspot.com/2016/07/helene.html

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  3. je viens d'acheter Le dernier feu en numérique merci à toi de réaviver l'envie de lire cette auteure

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    1. Ahhhhhh Je suis très fière de moi.
      J'espère que cela te plaira et que tu nous en parleras.

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  4. Maria Borrély a t-elle une lointaine parenté avec les négociants marseillais Borély..(château Borély)On se posait la question.
    Merci.

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  5. l’Homme semence n’est pas de Maria Borrély. Il est signé Violette Ailhaud
    C’est une supposition non fondée du journaliste Vincent Quivy de l’ attribuer à Maria Borrély. Il m’avait téléphoné quand il a osé cette hypothèse fondée sur sa seule impression.
    J’ai fait mon enquête auprès de Mme Paule Borrély qui a complètement désapprouvé cette invention. J’ai même recherché, lorsque j’étais aux archives de Digne, des manuscrits qui auraient pu fonder cette thèse. Je n’ai absolument rien trouvé. En outre, il n’y a aucun rapport ni dans les thématiques, ni dans la langue, ni dans le style, ni dans les propres intérêts de Maria qui justifient cette affirmation gratuite !

    Mme P. Borrély, ayant droit de Maria Borrély, Jean Darot, éditeur de l'autrice et moi-même avons vivement déconseillé à Vincent Quivy de faire cette affirmation mais il a publié un article où il soutient sans aucune preuve cette thèse.
    Je regrette vivement que cela soit pris si facilement pour argent comptant. Je ne vois vraiment pas pourquoi j’aurais accordé le moindre espace à ces suppositions sans fondement dans une biographie sérieusement documentée.
    Merci de votre article qui analyse bien mon ouvrage mais il m'a semblé important néanmoins de préciser ce point important !

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    1. Je vous remercie pour votre commentaire. Je persiste à penser qu’une note disant qu’il n’est fait aucunement mention de ce texte dans les manuscrits de Borrély aurait été utile et pertinente.
      Merci beaucoup pour votre travail, si complet.

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    2. Vous avez raison Nathalie, il faut éviter de laisser traîner les rumeurs sur un écrivain ou une écrivaine. D'autant que Maria Borrély commence à sortir de l'anonymat. il faut que tout ce qui la concerne soit rigoureusement vérifié. J'ai fait aussi ce commentaire sur Babelio. Merci et bravo pour votre travail au service de la littérature !

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    3. Disons que si quelqu'un fait des recherches sur L'Homme semence dans internet il tombera sur la fiche wikipedia et sur l'article de Slate, mais pas sur mon blog (restons réaliste). On avance à petits pas.

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  6. C'est bien dommage que ce livre ne soit pas encore à la médiathèque ! Mais plusieurs livres de Maria Borrély y sont, heureusement ; ceux réédités il y a quelques années.

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    1. Dans la région c'est normal. La biographie ne tardera peut-être pas à arriver.

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  7. Malheureusement le catalogue commun des bibliothèques d'ici me dit "nincs találat" en rouge quand je lui demande ce qu'il a à me fournir sur Maria Borrély (nincs találat - aucun résultat). Je la garde donc de côté pour quand je prendrai ma retraite en Provence. Je comprends ton enthousiasme à trouver une bonne biographie d'une autrice que tu apprécies et qui n'est pas connue.

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    1. Je note mes deux premiers mots de hongrois…
      Dominique semble avoir réussi à acheter des volumes numériques, peut-être une piste.

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