La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 29 février 2024

Le grand échange mongol érigea un pont entre l’Est et l’Ouest.

 


Marie Favereau, La Horde. Comment les Mongols ont changé le monde, parution originale 2021, traduit de l’américain par Marie Favereau, édité en France par Perrin en 2023.

 

C’est le livre d’histoire phare de l’année.

Nous parlons donc des Mongols, ces gens qui ont conquis le monde du haut de leur cheval. Plus exactement, Favereau fait l’histoire politique de la branche issue du fils aîné de Gengis Khan, celle des Jochides, au flanc occidental de la steppe. La Horde a occupé et administré un vaste territoire correspondant à l’Ouest de la Russie, au Kazakhstan, au pourtour nord de la Caspienne, à la péninsule de Crimée, au Caucase, etc. depuis les années 1225 jusqu’au début du XVe siècle.

C’est un empire, un empire nomade, qui fait paître ses troupeaux du nord au sud de la Volga selon les saisons, qui fait impitoyablement la guerre, qui fait construire des villes, non pas pour s’y installer, mais pour permettre aux sédentaires d’y habiter et d’y commercer, pour y installer de force aussi les populations vaincues.

Les Mongols sont hommes et femmes de réseaux, de routes, et leur action politique vise à faire en sorte que chacun puisse exercer son activité et créer de la richesse, à prélever impôts, taxes et tributs, et à faire circuler tous leurs biens en respectant la hiérarchie du groupe. Toutes les ethnies, toutes les religions, toutes les langues y sont bienvenues, du moment qu’elles participent à cette grande circulation des biens et qu’elles respectent leur domination.

Il y a l’implantation de comptoirs génois au bord de la Mer Noire, la mise en place d’un réseau de poste officiel qui quadrillait l’empire d’Est en Ouest et reliait cette Horde occidentale aux confins de la Chine, la création de villes et de points d’étape, pour permettre aux marchands de voyager en relative sécurité et avec une prévision des délais et des coûts. On dirait aujourd’hui que les Mongols fournissaient les moyens logistiques nécessaires pour faciliter (et capter) le grand et petit commerce. Il y a la création de monnaies régionales, la vaste circulation des marchandises, depuis les fourrures de la Sibérie vers le monde arabo-perse, les esclaves indispensables au régime mamelouk, le métal, le sel, les soieries venues du très grand Orient, etc. L’approvisionnement en céréales de Constantinople passe par le commerce de la vallée du Danube et de la Volga. Il y a enfin l’importante correspondance diplomatique mongole conservée à Rome, à Venise, à Istanbul, à Vienne, à Moscou, etc.


Les dirigeants mongols se montraient prudents afin de ne pas ralentir la circulation des marchandises ; sachant que les négociants ne pouvaient être totalement contraints ni contrôlés, ils cherchaient plutôt à les séduire. Les autorités mongoles appliquaient des taxes légères sur les transactions et assuraient aux marchands la sécurité et la protection de leurs biens.

(…)

Les produits de luxe n’étaient pas nécessaires aux dirigeants dans l’économie quotidienne mais étaient indispensables à leur hiérarchie socio-politique. En effet, ils s’en servaient pour récompenser les élites et les lier à la cour, lesquelles agissaient de même pour conserver la loyauté des gens ordinaires. Lingots d’argent, or, textiles précieux, fourrures, perles, tout cela était constamment réaffecté.


Des villes nouvelles où le khan ne réside pas, mais où il organise des rituels, des fêtes et où il rencontre les élites. Il fait construire les mosquées, les églises de diverses obédiences, les temples bouddhiques, les monastères. Là-bas se côtoient les marchands italiens, grecs, russes, égyptiens, arméniens, etc.

Alors que la vieille historiographie nous représente le monde mongol comme une économie de la prédation basée sur le pillage des villes, Favereau décrit un système politique, qui conquiert et soumet les autres peuples nomades, dans le but de maîtriser la steppe, et qui structure le monde sédentaire. L’héritage de cette société nomade pastorale et guerrière est immense (on ne citera que la Russie).

Les Mongols parviennent à incorporer à leur monde tous les apports des peuples rencontrés et soumis : l’islam qui fournit un cadre propice au commerce (et qui n’interfère pas avec leurs croyances habituelles), les techniques de poliorcétique chinoises, la poudre à canon chinoise, la céramique iranienne, et.

Chronique d'or, copie du 19e siècle d'un original du 17e siècle, Mongolie 1800-1900, BNF


Les villes jochides (dynastie mongole) accueillaient également des moines franciscains, dominicains, et autres émissaires sédentaires qui ne pouvaient faire face à la rudesse de la vie nomade, ou encore des commerçants et des voyageurs devant stocker leurs marchandises. Les Jochides financèrent dès cette époque la construction de sanctuaires et de divers édifices religieux. Entre le milieu des années 1230 et le milieu des années 1250, des cités faites de temples, d’églises, de monastères et de mosquées surgirent sur tout le territoire de l’Empire mongol.


C’est un livre ardu à lire du fait du très grand nombre de noms propres : noms des dirigeants mongols, de leurs femmes, de leurs enfants, de leurs oncles, de leurs alliés, de leurs opposants, noms de lieux qui sont loin de m’être familiers… L’histoire politique, ce n’est pas mon point fort et les récits des alliances et des guerres et des conflits de succession me lassent un peu. Ce livre constitue toutefois un point de départ indispensable pour comprendre ce qui se joue dans la steppe. Mon goût me porte davantage vers l’histoire culturelle, vers l’archéologie et l’étude des artefacts.

C’est pourquoi je me suis procuré le catalogue de l’exposition du château de Nantes (visible jusqu'au 5 mai pour les gens de l'Ouest) sur tout l’empire Mongol (et pas seulement la branche de l’Ouest). Il présente toute la variété géographique et culturelle du monde mongol. Archéologie, sites funéraires, fouilles des villes, tissus, chapeaux, bottes, chevaux, etc. Je suis fascinée par la diversité des ères culturelles : voici qu’une femme avec une coiffe mongole apparaît sur un carreau de céramique de Tabriz, ou que les dragons chinois se répandent partout, ou que les écritures arabes se posent sur les céramiques chinoises, etc. À force de s’émerveiller de la présence des soies chinoises dans la France médiévale, on a oublié de s’intéresser à ce grand entre-deux, cette steppe infinie par où circulaient les marchandises.

  

Si la Horde était projetée sur une carte moderne, elle couvrirait les régions actuelles d’Ukraine, Bulgarie, Moldavie, Azerbaïdjan, Géorgie, Kazakhstan, Ouzbékistan, Turkménistan et Russie – dont le Tatarstan et la Crimée.

À la lecture de cette phrase, je me suis dit que ce livre serait idéal pour ouvrir le mois de mars des blogs consacré à la lecture des pays de l’Est de l’Europe. Le mois n’existe officiellement plus, mais les lectures restent ! Il y aura des billets.

 

Si le sujet vous intéresse, vous pouvez vous contenter d’écouter ce passionnant podcast.


 

 

9 commentaires:

je lis je blogue a dit…

Ce livre a tout pour me plaire (essai historique + Mongoles) même s'il est un peu ardu à lire. La vidéos sur l'exposition à Nantes me fait rêver.

nathalie a dit…

@JeLisJeBlogue : commence par le podcast, cela te donnera une bonne idée.

Sandrine a dit…

J'étais à Nantes le 31 janvier avec la très ferme intention de voir cette expo. Malheureusement, ma route a croisé celle d'agriculteurs en colère : 7 h 30 de voyage au lieu de 4, adieu exposition :-(

miriam a dit…

j'ai écouté le podcast passionnant. Ma mère avait envie d'aller à Nantes je lui ai offert le livre. Je le lirai dès qu'elle aura fini mais elle se plaint que c'est difficile surtout avec les noms.

nathalie a dit…

@Sandrine : ah oui la route des steppes est parfois semée d’embûches.

@Miriam : oui c’est un livre difficile à lire. C’est pourquoi je conseille plutôt le podcast ou le catalogue de l’expo.

claudialucia a dit…

Ce livre est ardu, peut-être, mais il a l'air passionnant et complet et surtout il propose un point de vue sur les Mongols qui sort des sentiers battus.

nathalie a dit…

@ClaudiaLucia : il faut dire que nous sommes très ignorants. On apprend beaucoup de choses.

Ingannmic, a dit…

Le sujet m'intéresse mais je me contenterai du podcast, et peut-être de l'expo, si je passe voir mes parents d'ici début mai (oh le prétexte !!).

nathalie a dit…

@Ingannmic : l'expo doit être si bien ! (bon tes parents aussi, hein)