Mario Vargas Llosa, La Fête au Bouc, parution originale 2000, traduit de l’espagnol par Albert Bensoussan, édité en France par Gallimard.
Urania revient à Saint-Domingue, après 40 ans de silence et d’absence. Son père, ancien pilier du régime de Trujillo, est désormais invalide et Urania plonge dans ses souvenirs d’enfance, pendant l’âge d’or de la dictature, des souvenirs qui la plongent dans la fureur.
Deuxième fil, la dernière journée de Trujillo sur terre. Une journée ordinaire de dictateur, avec les souvenirs des bonnes années, quand il faisait massacrer des milliers de Haïtiens avec le soutien des États-Unis. Désormais il est âgé et le puissant allié commence à le lâcher.
Troisième fil, quatre hommes attendent dans une voiture pour tuer le tyran. Chacun repense à son parcours, de soutien du régime à fervent opposant, ressassant les humiliations et les violences. Ils n’ont pas vraiment d’espoir.
Urania se met à rire. Pas tant pour ce que dit sa cousine que par sa façon de le dire : cette saveur truculente, en parlant avec la bouche, les yeux, les mains et tout le corps à la fois, avec cette joie et piquant du parler dominicain.
Arntz, Douze maisons du temps : la prison, 1927 gravure sur bois |
Ces points de vue alternent avec habileté, ainsi que les retours dans le passé, et nous plongent jusqu’au cou dans les abîmes de la dictature. Le roman fait intervenir une multitude de personnages et montre bien les mécanismes de la terreur, de la soumission et de la complicité. C’est toute la société du pays qui est trujilliste par la force des choses. Un mécanisme d’emprise à grande échelle, minutieusement décrit.
C’est si excellemment rendu que j’ai peu à peu ressenti un dégoût palpable pour ce livre, comme si l’emprise s’étendait au lecteur même. Vargas Llosa établit un parallèle, lourd et pas original, mais d’une expressivité puissante, entre le sexe et le pouvoir, et plus exactement entre le machisme, la culture du viol et de l’appropriation du corps des femmes, et l’exercice du pouvoir et la domination physique et mentale sur les esprits. J’ai passé pas mal de pages. Le roman ne se clôt pas avec la mort de Trujillo, mais se poursuit jusqu’à la fin du régime. Le récit des tortures subies par les conspirateurs est détaillé jusqu’à l’écœurement. Le récit d’un viol m’a semblé complaisant. On se réjouit de revenir à l’air libre.
Il ne se rappelait pas comment cela avait commencé, ses premiers doutes, ses conjectures, ses désaccords, qui l’avaient conduit à se demander si vraiment tout allait si bien, ou si, derrière cette façade d’un pays qui, sous la conduite sévère mais inspirée d’un chef d’État hors du commun, progressait à marches forcées, il n’y avait pas un macabre théâtre de gens détruits, maltraités et trompés, l’intronisation par la propagande et la violence d’un gigantesque mensonge. D’inlassables gouttelettes qui, à force de tomber et tomber, avaient sapé son trujillisme.
C'était une relecture. C’est un roman très fort, mais je ne pense pas avoir envie de le rerelire.
De l'auteur, j'ai également lu La Tante Julia et le scribouillard, un roman léger et très réussi.
Troisième et dernière participation au mois latino-américain d'Ingannmic.
les différents points de vue doivent être intéressants, mais le récit des tortures etc...je vais passer mon tour!
RépondreSupprimerJ'aime bien Vargas Llosa, cette tante julia est très bin à lire, mais là, des détails me rebuteraient...
RépondreSupprimer(j'ai regardé la série Blanca sur M6, avec plein d'images de Gênes, en effet, belle ville)
Je l'ai lu l'an dernier et je te rejoins, c'est un texte très fort. Je viens de relire mon billet et je vois que je n'avais pas relevé ce parallèle que tu soulignes entre dictature et domination sexuelle. Je m'étais surtout attardée sur les mécanismes de soumission à ladite dictature, dont il est aussi beaucoup question, de mémoire.
RépondreSupprimerEt je vois que tu n'as pas lu Le rêve du Celte, ce que je t'encourage à faire, il est excellentissime !! (je note pour ma part La Tante Julia et le scribouillard, mais j'ai aussi Temps sauvages sur ma pile).
@Eimelle : les tortures n'interviennent qu'à la fin, mais en effet je ne pense pas que ce soit ton truc.
RépondreSupprimer@Keisha : Ah c'est sûr que voyager à Gênes est plus sympa que lire ces récits d'horreurs...
@Ingannmic : Je me demande comment tu as fait pour ne pas le voir ... en effet tu n'en parles pas et tu prends pour de l'incontinence ce qui est de l'impuissance... Je me suis moins intéressée à la dimension politique que toi, je crois ! Je verrai si je croise d'autres titres. J'ai entendu parler du Rêve du celte en effet.
oh là, je vois que le roman est paru en 2000 ! ça fait donc plus de 20 ans qu'il est dans ma liste à lire ! Je l'enlève, je le remets, etc...
RépondreSupprimer@JeLisJeBlogue : mais en France ça fait un peu moins, et puis tu as encore le temps.
RépondreSupprimerJe n'ai trouvé aucune complaisance mais une dénonciation profonde et puissante contre la dictature et ceux qui la soutiennent. C'est un livre qui m'a laissé une forte impression.
RépondreSupprimer@ClaudiaLucia : je n'ai pas eu cette impression à ma 1e lecture, mais là, j'ai trouvé que la dénonciation puissante n'empêchait pas cette complaisance dans la description du viol et des tortures. Les deux sont compatibles.
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