La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 8 octobre 2024

Mais combien de temps ma mère et moi sommes-nous capables de ne pas parler ?

 


Vivian Gornick, Attachement féroce, parution originale 1987, traduit de l’américain par Laetitia Devaux.

 

Gornick raconte sa mère, son enfance, sa mère et elle, ses histoires d’amour, sa relation avec sa mère… L’une ne va pas sans l’autre, mais elles ne se comprennent pas, ou se comprennent trop bien, se cherchent, se fâchent, se jugent, ne se séparent pas, ne se supportent pas.


Puis elle se tourne vers moi et me dit d’un ton suppliant : « Qu’est-ce que je t’ai fait pour que tu me haïsses autant ? » Je ne réponds jamais. Je sais qu’elle brûle et je suis contente de la voir brûler. Pourquoi ? Parce que, moi aussi, je brûle intérieurement.


Et c’est aussi une histoire de New York. Car, tandis que la narratrice adulte arpente les rues de Manhattan avec sa mère âgée, elle se remémore les appartements dans le Bronx ou à Brooklyn, les voisines, les discussions dans la cuisine, la façon d’occuper les pièces.

C’est un texte plein d’énergie et de tension, on marche et on fume, on crie beaucoup. J’ai aimé l’évocation de New York et la vie dans les appartements, presque communautaire, avec ces ragots qui circulent d’un étage à l’autre, ses figures originales, ses amitiés, ses ruptures… Une existence de femmes puisque les hommes sont ceux qui passent, partent travailler, partent tout court, meurent à la guerre. Les femmes travaillent à l’extérieur ou à la maison, mais elles sont l’âme de ces murs.

J’ai aussi aimé la façon dont Gornick raconte sa propre relation aux hommes, elle qui a reçu une éduction que l’on qualifierait de juive puritaine, mais qui s’émancipe par l’université et la littérature, prisonnière de schémas anciens, se heurtant à des hommes un peu manipulateurs ou un peu dépressifs.

L’univers des femmes, c’est la cuisine, les enfants, le ménage, le linge, le fait d’être capable ou non de garder son homme.

 

Saul Leiter, New York

 

Cette ville est notre élément. À chacun, il arrive tous les jours des aventures avec des conducteurs de bus, des femmes chargées de sacs, des contrôleurs de ticket, des fous. Marcher fait ressortir ce qu’il y a de meilleur en nous. J’ai quarante-cinq ans et ma mère soixante-dix-sept. Elle est solide et saine. Elle est capable de traverser Manhattan avec moi sans problème. Nous ne nous aimons pas beaucoup lors de ces promenades, souvent nous enrageons l’une contre l’autre, malgré tout, nous marchons.

 

Telle était donc sa condition : dans la cuisine, elle savait qui elle était, dans la cuisine, elle s’agitait et s’ennuyait, dans la cuisine, elle fonctionnait à la perfection, dans la cuisine, elle méprisait ce qu’elle faisait. (…) Passive le matin, rebelle l’après-midi, elle se faisait et se défaisait chaque jour. Elle s’accrochait désespérément à la seule chose à sa portée. Son propre entrain lui inspirait de la tendresse, mais aussi de la culpabilité. Comment aurait-elle pu ne pas rester fidèle à une vie pleine de contradictions aussi intenses ? Et moi, comment ne pas rester fidèle à sa fidélité ?

 

La ville de New York prend ainsi place dans le panorama urbain proposé par Ingannmic et Athalie.


 


10 commentaires:

  1. j'arpenterai bien New York à travers ce roman!

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  2. Tu me rends curieuse de savoir pourquoi la relation avec cette mère est si compliquée...

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  3. New York c'est vraiment comme Paris un décor de roman incontournable

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  4. un voyage à New YOrk? c'est tentant

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  5. Un décor de roman et de film aussi. Je m'amusais à retrouver les lieux quand j'ai visité la ville.

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    1. J'avoue ne pas trop me livrer à ce genre de loisir (et pourtant j'ai dû voir je-ne-sais combien de sites ayant servi pour les films Harry Potter)

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