La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 12 novembre 2024

Et même si Perlefter était un individu très ordinaire, il était aussi un individu fort singulier. En effet, il ne voulait pas être ordinaire.

 


Joseph Roth, Perlefter, histoire d’un bourgeois, volume de divers textes, traduit de l’allemand par Pierre Deshusses, édité en France par Robert Laffont.

 

Le volume comprend Perlefter, un roman commencé en 1929 et laissé inachevé après 150 pages, ainsi que plusieurs nouvelles.

 

Perlefter

Le narrateur de ce début de roman est recueilli enfant par un oncle, Perlefter, portrait type du bourgeois tiède de Vienne, conformiste, bon viveur pour lui, mais minable pour les autres. L’essentiel du roman consiste dans son portrait, ainsi que celui de sa famille, sur quelques années. Le roman s’interrompt au moment où Perlefter s’apprête à rencontrer un cousin d’un caractère très différent.

Le texte n’est pas abouti, ce qui explique sans doute quelques répétitions et aussi un sentiment de lenteur. Il ne se passe pas grand-chose puisque tout réside dans le portrait de ces individus, à la fois pittoresques et tristement communs, mais tracés d’une plume rapide et d’une ironie froide.

J’avoue que cela renforce mon envie de lire les titres plus connus de l’auteur.

 

Il avait l’air totalement ingénu quand il était joyeux, comme un enfant joufflu. Et pourtant l’amertume était déjà tapie au fond de cette joie. Et de la même façon qu’il n’aimait pas les actions catégoriques, il n’avait pas d’impressions catégoriques. Quand il était content, il se faisait en même temps du mauvais sang. Quand il était très préoccupé, il nourrissait déjà des espoirs. Il était incapable d’aimer et de haïr. Il aimait bien quelqu’un ou ne l’aimait guère.


P. Alma, Huit portraits : le banquier (1929 linogravure, coll. Merrill C Berman)
 

Les nouvelles

Carrière : un comptable qui n’a qu’une manie, aimer l’encre violette.

À propos de l’endroit dont je veux parler maintenant : après l’évocation d’un ancien cimetière, le portrait d’un homme à la vie originale.

Humanité malade : un homme traumatisé par les combats de la Première guerre mondiale.

Elles sont de plus en plus rares en ce monde : un texte inachevé sur un homme qui doit s’adapter au nouveau monde créé par la Première guerre.

Le Cartel : un récit qui prend place à Boston et qui est empreint d’humour et de légèreté.

Ce matin est arrivée une lettre : Une lettre à l’occasion de laquelle on prend des nouvelles de la diaspora, éparpillée entre l’Europe, l’Amérique du Sud et l’Asie, diaspora composée des personnages romanesques imaginés par l’auteur. C’est un très beau texte.

 

Ce matin est arrivée une lettre de mon ami Naphtali Kroj de Buenos Aires. Ça lui plaît, la vie dans cette grande ville très loin d’ici et sans doute très étrange aussi. Il a rencontré des gens qu’il connaissait, des gens de chez nous. Ils font du négoce de tabac ou d’autres choses et me passent le bonjour. Ils ne m’ont pas oublié, même si j’étais encore un petit garçon lorsque je me suis séparé d’eux pour partir à l’Ouest, dans la famille de mon père, à Vienne. Les gens de mon pays ont une bonne mémoire, car ils se souviennent avec le cœur. Mais moi, je les aurais presque oubliés, parce que j’ai vécu dans les pays de l’Europe de l’Ouest et que j’y vis encore, là où le cœur n’est rien, la tête pas grand-chose et où le poing qui cogne est tout.

C’est le début de la nouvelle.

 

Maintenant je ne suis né nulle part et je ne suis chez moi nulle part. C’est étrange et terrible et j’ai l’impression d’être un rêve sans racines et sans but, sans commencement ni fin, un rêve qui vient et qui s’en va et ne même pas d’où il vient ni où il va. C’est ainsi que sont tous mes concitoyens. Ils vivent éparpillés dans le grand et vaste monde, ils s’accrochent avec leurs petites racines à un morceau de terre étrangère, ils gisent ensevelis dans une terre étrangère, ils font des enfants qui ne savent pas où est né leur père et pour qui leur grand-père est déjà une légende. J’entends parfois parler d’Untel ou d’Untel.

 

Dans ses fictions et grâces à ses personnages, Roth parle de lui et des siens, d’un monde disparu et éclaté, de personnages faibles et touchants, grandioses et cocasses.

 

De Roth j’ai également lu  Job, roman d'un homme simple que je vous conseille vivement.


Première participation au mois sur la littérature allemande organisé par Patrice et Eva.







2 commentaires:

  1. Je viens de finir Job de Joseph Roth qui m'a beaucoup plu. Maintenant il me faut rédiger mon billet! >Perlefter ne me dit pas trop

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    1. Je vais acheter La Marche cette semaine et je pourrai le lire pour l'année prochaine.

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