Lutz Bassmann, Haïkus de prison, 2008, éditions Verdier.
Des haïkus ou plutôt des poèmes de trois vers, qui racontent l'enfermement dans une cellule, puis un long voyage dans un train de marchandises et enfin le camp, le déboisement d'une forêt de bouleaux et les cabanes glaciales.
Rien n'est expliqué. On ne sait pas qui sont les prisonniers ni la raison de leur présence ni le régime politique en cause. C'est l'enfermement.
C'est extrêmement brillant. Noir, très noir, caustique, avec la distance de l'humour et de la poésie, pour évoquer le monde de la terreur. Mais voilà, les mots ne s'arrêtent jamais de dire les choses.
Il y a des figures stéréotypées qui se croisent – je crois que cela pourrait être un texte de théâtre.
L'infirmerie n'est pas très sûre
plus d'un vieux
n'en est pas revenu
Le Mandchou s'est cousu la bouche
il voudrait qu'on le transfère
chez les politiques
L'organisation s'est constituée
seuls les chefs savent
combien nous sommes
La louche tremble dans ma main
l'anthropophage me regarde
je suis de service de soupe
La feuille d'appel s'est envolée
le soldat rougit il bredouille
des noms imaginaires
La feuille d'appel s'est envolée
trente détenus virevoltent
entre voie ferrée et nuages
La nuit est sans lune
mais elle est avec cliquetis
et odeurs de crasse
Chacun espère être employé selon ses compétences
même l'avorteur
s'imagine déjà à pied d'oeuvre
Pour instaurer la discipline
le commandant
tue quelqu'un au hasard dans le fossé
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Giacometti, Portrait d'Annette, 1954, Orsay. Quand les traits des personnes aimées s'effacent et se stabilisent. |
Lutz Bassmann, Les Aigles puent, 2010, aux éditions Verdier.
La catastrophe a déjà eu lieu.
La ville a été bombardée la veille, d’une bombe qui mêle les explosifs, les gaz, les poisons et peut-être des radiations (même si le mot « nucléaire » n’est jamais prononcé). Tout – tout – est transformé en une sorte de goudron noir et en vapeurs délétères qui s’infiltrent dans la peau et les poumons.
Le personnage principal, Gordon Koum, arrive le lendemain. Il cherche sa famille, en vain. Il est ventriloque et, à l’aide d’une poupée trouvée dans les décombres et un rouge-gorge qui échoue là, il va raconter des histoires. Les histoires de celles et ceux qui ont vécu là, ont espéré et ont aimé, et n’ont pas existé en vain. Des histoires pour distraire les morts dans leur interminable errance.
Les histoires de Koum racontent un monde de luttes clandestines, de gens attachés à leur famille, de sous-hommes, d’hommes-oiseaux, de bombardements, de dévastations, d’hommes et de femmes qui échappent et qui survivent.
Un roman qui tente, une nouvelle fois, de faire la part belle aux mots et aux histoires, qui redonnent un sens à la vie là où il n’y en a plus, qui disent que l’humour, la tendresse et la rage existeront toujours, mais quand même au ton singulièrement triste, si je compare avec d’autres titres de l’auteur.
Ne remue pas. Ta bouche est une trappe. Ne l’ouvre pas. N’ouvre rien. N’ouvre aucune porte, pensa-t-il.
Quelle que soit ta prison, n’ouvre aucune porte. Reste pétrifié, ne communique avec rien. N’ouvre les portes et ta bouche sous aucun prétexte.
Des scènes isolées et des images pour distraire les morts. Pour distraire les morts que j’ai aimés. Pour distraire mes proches, mes camarades et mes amis. Ceux d’ici. Ici incarcérés dans les ruines, ou répandus autour de nous sous forme de goudron. Pour leur dire que je les aime encore et que je continuerai à les aimer, même si je n’ai plus de voix, même si mon organisme se défait, même si mon organisme rejoint le goudron indifférencié qui maintenant nappe la ville et même le monde.
Lutz Bassmann, Avec les moines-soldats, 2008, chez Verdier.
Des hommes sont envoyés en mission, en mission dans le temps, par une Organisation qui semble ne presque plus exister, pour tuer on-ne-sait-pas-bien-qui ou pour exorciser des lieux, mais les termes sont vagues et se diluent dans les rêves, dans un monde où il ne reste plus grand-chose de la civilisation. Les États ont disparu, tout se délite doucement. Des êtres étranges, à la limite de la mort, à la limite de l'humanité, circulent dans les rêves et se terrent dans les maisons. Les moines-soldats savent à peine ce qu'ils doivent exorciser.
C'était une relecture, mais j'ai eu du mal à lire le volume. Trop triste et dépourvu d'espoir.
Lutz Bassmann est un des alias utilisé par Antoine Volodine. On pourrait se dire « peu importe le nom, il s'agit de la même plume » (et c'est ce que je pensais d'ailleurs), mais en réalité ces deux derniers livres m'ont paru plus sombres que le reste de l'oeuvre, sans la nuance d'humour et d'énergie de vivre qui animent les textes signés du nom de Volodine ou de Draeger. Je suis intriguée.
Vous aurez compris que je conserve le livre des Haïkus de prison, qui me paraît le plus réussi.
Il me semble que les deux romans s'inscrivent dans la science-fiction, catégorie post-apocalyptique, même si l'auteur n'est quasiment jamais qualifié ainsi. C'est pourquoi je propose ce billet au défi SF de Sandrine (c'est seulement le deuxième pour le moment !).
Comment il disait déjà ? Noir c'est noir ?
RépondreSupprimerLes haikus ne sont pas aussi sombres (mais je trouve rien de SF dedans), car il y a de l'humour et un certain sens du décalage, mais les deux romans, oui, plus difficile.
SupprimerJe n'ai rien lu de lui mais , en effet, c'est désespéré. Ces Haikus sont terribles et tu les trouves moins sombres !!
RépondreSupprimerIl y a beaucoup d'ironie dans les haïkus, avec ces figures stéréotypes.
Supprimerun auteur jamais lu et ses Haïkus sont vraiment surprenants
RépondreSupprimerOui c'est une création très originale.
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