Antoine Volodine, Terminus radieux, 2014.
Volodine est un des rares écrivains français contemporains que je lis régulièrement (il y en a quelques autres qui surnagent mais bon...), mais je peine toujours à partager mon enthousiasme. Ce titre-ci a heureusement eu une certaine visibilité, grâce au prix Médicis. Je m’attelle donc à nouveau à la tâche de vous donner envie de le lire !
Le vent de nouveau s’approcha des heures et il les caressa avec une puissance nonchalante, il les courba harmonieusement et il se coucha sur elles en ronflant, puis il les parcourut plusieurs fois, et, quand il en eut terminé avec elles, leurs odeurs se ravivèrent, d’armoises-savoureuses, d’armoises-blanches, d’absinthes.
C’est le début.
Nous sommes dans une ambiance de fin du monde, dans la taïga et la forêt. La Deuxième Union soviétique s’est écroulée et tous les réacteurs nucléaires se sont déréglés. Des hommes et des femmes s’enfuient et meurent peu à peu – à moins que l’on ne puisse jamais mourir dans cet univers sans fin.
L’ancien soldat Kronauer vient chercher du secours dans un genre de kolkhoze nommé Terminus radieux et installé sur une pile radioactive. Quelques humains, ni morts ni vivants, habitent là, sous la coupe du sorcier Solovieï qui s’immisce dans leurs rêves et les fait agir comme autant de marionnettes
(et là j’ai déjà perdu la moitié de mes lecteurs)
(mais il est horrible ce sorcier)
Ils restèrent immobiles un moment, invisibles dans leur cachette de longues feuilles et de tiges dont certaines, suite aux premières gelées nocturnes, étaient sur le point de jaunir et même de noircir. À une quinzaine de mètres, un massif d’herbes épicées embaumait. Des vornies-cinq-misères, pensa Kronauer. Mêlées à des bouralayanes, des chaincres. Plus près il y avait des sarviettes-à-odeur-de-menthe.
Nous suivons Kronauer quand il cherche à se créer une nouvelle vie, ou qu’il veut secourir ses camarades, ou qu’il essaie de préserver ses souvenirs de l’oubli. Les personnages, au contact de la radioactivité, mais surtout sous l’emprise du temps et de la magie de Solovieï, se dégradent interminablement. Les besoins physiologiques se réduisent, la mémoire s’atrophie. Ils ressemblent de moins en moins à eux-mêmes.
Elle ouvrit les yeux et elle bougonna une malédiction à tiroirs au fond de laquelle même les classiques du marxisme en prenaient pour leur grade.
Photo d'Alain Sauvan |
Il y a un ton familier et humain pour aborder la mort et les utopies politiques.
Et puis la place centrale est faite à celles et ceux qui écrivent, racontent, chantent, rappellent le passé, inventent des histoires. C’est le miracle des mots qui surgissent dans ce qui ressemble au néant et qui ont un pouvoir de (re)création.
Elle se couvre d’écailles dures et bruissantes.
Elle se couvre de gouttelettes noires.
Elle fait vent, elle fait théâtre, elle fait ciel noir, elle fait quatre-ciels-noirs.
Elle va jusqu’à l’origine des temps et elle souffle dessus en hurlant, puis elle atteint la fin des temps et elle souffle dessus.
Or parfois il se rappelait qu’il avait été musicien errant et, bien qu’en lambeaux, il avait encore dans l’esprit quelques moments de son répertoire. Et il avait envie de les faire sonner une fois encore à l’extérieur, ces lambeaux, ces moments. C’était comme l’envie mécanique d’un dernier souffle. Les longs récits avaient perdu leur cohérence, les cycles de bylines se réduisaient à des bribes de fictions disparates. Pas grand-chose n’avait résisté à l’immense lessivage des siècles.
Songes de Mevlido : un roman très réussi, qui campe l’univers de Volodine dans toute sa richesse - je vous recommande
Des anges mineurs
Frères sorcières
Lisbonne dernière marge : un de ses premiers titres.
Les Filles de Monroe : La capacité de l'auteur à raconter de façon totalement simple et naturelle un truc très bizarre, mais en vérité, pas si loin de nos repères. Et même si la pluie tombe en rafales ou en fusillades, ce monde n’est jamais totalement effrayant. Il existe toujours une possibilité de se glisser dans les interstices de la pénombre (pénombre qui est beaucoup plus humaine que la lumière brutale).
Il y a aussi beaucoup de jeu avec le vocabulaire traditionnellement communiste, c'est toujours plein d'invention !
Sous l'avatar de Manuela Draeger : Kree. C’est un monde dévasté, où sont apparues de nouvelles espèces de plantes ou d’animaux, où les humains parlent un langage simplifié, où le chamanisme ne fonctionne plus très bien, mais reste vaguement utile. Un roman envoutant.
Il est sur ma pile, suite à ton conseil (ça remonte, hein...). Y'a plus qu'à...
RépondreSupprimerLa Pile est-elle une vaste steppe désolée ou une montagne abrupte ?
SupprimerPour me déculpabiliser, je n'ai plus de pile à vrai dire : lus et non lus sont indifféremment rangés dans ma bibliothèque, et j'en tiens une liste sur le blog (plus une clandestine, sur un cahier, pour ne pas trop me déprimer !)..
SupprimerAh ah... je n'ai jamais eu de pile. Tous les livres sont rangés sur l'étagère, lus et non lus, relus et à relire. Je n'ai pas de liste non plus. Il m'arrive d'acheter des livres en double car j'ai oublié que je l'ai déjà. Cela fait une belle bibliothèque, mais très feeling.
SupprimerCe n'est plus de l'amour, c'est de la rage! ^_^ Je me dois de le découvrir, d'ailleurs il utilise des mots que je ne connais pas, ça m'attire. Ou alors il les invente, ce qui est aussi fort bien.
RépondreSupprimer(de petits soucis ce matin avc blogspot)
Il invente. Il invente des mots de plantes, des mots genre soviétiques, des noms de créature, mais sans en avoir l'air. Oui j'essaie d'être convaincante !
SupprimerQuel amour pour cet écrivain ! ET comment résister à ton enthousiasme ! A priori, j'aime bien le côté étrange, l'invention de mots nouveaux. Effectivement, j' ai cherché les noms de plantes et je ne les ai pas trouvés et pour cause ! Allez, encore un auteur à chercher à la médiathèque.
RépondreSupprimerJe pense que tu le trouveras facilement. En effet, langage à la fois familier et inventif, évocateur.
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