Ray Bradbury, Chroniques martiennes, première publication 1950, traduit de l’américain par Jacques Chambon et Henri Robillot pour Denoël.
Tout commence en janvier 2030* dans l’Ohio. Une fusée s’apprête à décoller pour Mars et embrase l’atmosphère. C’est l’été en plein hiver.
Dans les galeries de pierre, les gens formaient des groupes et des grappes qui se glissaient dans les ombres au milieu des collines bleues. Une douce clarté tombaient des étoiles et des deux lunes luminescentes de Mars. Au-delà de l’amphithéâtre, dans de lointaines ténèbres, se nichaient de petites agglomérations et des villas ; des eaux argentées s’étalaient en nappes immobiles et les canaux scintillaient d’un horizon à l’autre. C’était un soir d’été dans toute la paix et la clémence de la planète Mars.
C’est extrêmement brillant. Le lecteur ne perçoit pas immédiatement le lien entre les différents textes et comprend progressivement qu’il ne s’agit pas d’une suite d’instantanés, mais d’un tout cohérent. Seulement tout ne sera pas raconté et on ne saura pas ce que deviennent la plupart des personnages. À chaque fois, le lecteur en sait donc un peu plus et un peu moins que les personnages. Nous nous attachons à une famille, puis à une autre, et retrouvons des points connus. Des tranches de vie de personnes anonymes et de familles ordinaires se succèdent.
Le récit semble reprendre un à un tous les moments de l’histoire américaine : le génocide par la varicelle, l’appropriation des terres, l’exil par delà les océans et l’espace, les pionniers, le départ des noirs des états du sud, le matérialisme… tout en racontant qu’une autre histoire est possible, aurait été possible. Les pères missionnaires laissent en paix les Martiens survivants, un homme sème des arbres… À ce titre, ce roman de science-fiction constitue aussi une satire politique, comme bien d’autres. Il n’est d’ailleurs pas dépourvu d’humour, notamment avec ce revival martien de la chute de la maison Usher.
Et les Martiens dans tout ça ? Mystérieuse présence puis absence, c’est en reliant toutes les informations glanées au fil des textes que l’on reconstitue leur existence, très ancienne (respectant à fond les stéréotypes masculins/féminins des années 50). Chacune de leurs rares apparitions trouble l’atmosphère et lui donne une profondeur inégalée. C’est une habileté de n’avoir pas cherché à davantage caractériser. Ces êtres apportent à ce roman de SF une tonalité mélancolique tout à fait particulière.
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Météorite d'Ahumada (Mexique), 4,6 milliards d'année, MHN |
Elles partaient pour ne jamais revenir, si ça se trouvait. Elles quittaient la ville d’Indépendance, dans l’État du Missouri, sur le continent nord-américain, baigné d’un côté par l’océan Atlantique et de l’autre par le Pacifique, et rien de tout cela ne pouvait prendre place dans leurs valises. Elles s’étaient dérobées à cette ultime vérité.
Il sentait souffler un vent froid et il avait peur de se retourner. Il percevait une présence derrière lui, aussi vaporeuse que l’air que l’on souffle dans le froid du matin, aussi bleue qu’un feu de bois au crépuscule, quelque chose comme de la dentelle blanche d’autrefois, comme une averse de neige, comme la gelée blanche, en hiver, sur la laîche cassante.
* Les Chroniques martiennes constituent un magnifique exemple de l’importance des conditions de réception des œuvres littéraires. Pour le détail, je vous renvoie à la page Wikipedia, vous y verrez le recueil se rassembler progressivement (puisque les textes sont d’abord parus de façon séparée) et les années du « futur » s’éloigner au fur et à mesure.
De Bradbury, j'ai aussi lu L'Homme illustré.
Troisième participation au défi Objectif SF de Sandrine (que je poursuis dans la catégorie "classique" - on ne se refait pas).
De Bradbury j'ai lu L'homme illustré, sans doute trop tôt? Là tu me donnes bien envie... Mais je viens juste de trouver une vieillerie SF, donc on verra par la suite. En fait j'ai deux lectures d'avance pour le challenge..;
RépondreSupprimerPour l'instant je n'ai proposé que des auteures, mon challenge dans le challenge. Mais pas jusqu'au bout non plus.
Je ne compte pas en lire 12, je ne suis même pas sûre d'en lire 6, mais j'en profite pour lire et relire quelques titres qui attendaient depuis longtemps.
SupprimerJ'ai lu ce livre au collège et, pour ce que je peux me rappeler, je pense que je suis passée à côté
RépondreSupprimerL'écriture de Bradbury n'est pas non plus folichonne, un peu ringarde peut-être.
SupprimerMa lecture est bien lointaine, tu me donnes envie de le relire aussi.
RépondreSupprimerDe ma première lecture, je me souvenais surtout du début et je pensais même que la conquête avait échoué, pour te dire.
SupprimerJ'avais apprécié, mais je n'en ai pas gardé grand-chose...
RépondreSupprimerUne p'tite relecture ?
Supprimertrès peu sensible à la SF je t'"ai pourtant lu avec grand plaisir, je viens de mettre Asimov sur ma tablette on verra bien
RépondreSupprimerCe sont des auteurs assez datés dans leur écriture, mais leurs histoires sont vraiment des bases pour la SF, avec des idées intéressantes.
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