La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 7 août 2025

La Seine, deux jours plus tard, avec ses courbes paisibles, nous a guidés de Rouen vers Les Andelys.

 

Edith Wharton, La France en automobile, parution originale 1908, traduit de l'américain par Jean Pavans, édité en France par le Mercure de France et aujourd'hui chez Folio.

Moi qui apprécie tant les voyages en train – et éventuellement en bus –, me voici dans la voiture de Wharton, filant sur les routes de France, au début du XXe siècle.

Un voyage léger, rapide, trop rapide même à mon goût, sans forcément d'érudition, ni même de pittoresque. J'ai l'impression que Wharton apprécie par-dessus la façon dont l'automobile lui permet de découvrir autrement les paysages et les villes françaises : suivre une rivière, s'éloigner d'une montagne, approcher progressivement d'un clocher que l'on aperçoit d'abord de loin, se rendre compte de l'effet produit par la masse assemblée d'une colline et de son village... une expérience physico-géographique, qui s'adresse aux yeux et qui bouscule sa perception de l'espace.

Je note d'ailleurs que le trajet évite soigneusement les très grandes villes, puisque les seules agglomérations importantes sont Toulouse, Bordeaux, Rouen (et en 1900 c'étaient pas des capitales), à l'exception d'une nuit à Lyon.

Si nous avions fait cet itinéraire par chemin de fer, nous nous sérions par nécessité arrêtés plus longtemps à chaque étape, et nous aurions engrangé davantage d'impressions spécifiques ; mais nous aurions manqué ce qui est, d'une certaine façon, la véritable révélation du voyage, le sens de la continuité, de la relation entre les différents territoires, l'intimité avec les zones non répertoriées s'étendant entre les centres historiques successifs.

Tout comme les voyages en chemin de fer ont perturbé la façon dont on pouvait appréhender un paysage, ceux en voiture constituent une découverte (et c'est très bien raconté par Proust, rappelez-vous). On part quand on veut, on arrête quand on veut, on continue à rouler toute la nuit, etc.
Ceci explique la prédominance dans les sites visités des paysages certes, mais aussi des églises médiévales et des châteaux. Je pense que Wharton a dû lire des volumes de La France pittoresque, qui ont grandement participé à cette redécouverte de la France médiévale. Il y a aussi deux grandes stars : George Sand dont la maison de Nohan a droit à deux visites et Mme de Sévigné, indispensable évocation au moment de visiter Grignan. La romancière est pressée (tout le pays en moins de 200 pages 😮 ) et je n'ai cessé de me lister les lieux où elle ne s'arrête pas (ou dont elle ne parle pas). Je suis d'ailleurs frappée par le nombre de lieux touristiques qui se sont ajoutés depuis cette époque : de la grotte de Lascaux au palais du facteur Cheval, des sites historiques des deux guerres mondiales aux architectures contemporaines... le champ du tourisme s'est considérablement élargi !

Cathédrale d'Amiens, cathédrale de Rouen, cathédrale de Beauvais, Vézelay, les antiques de Saint-Rémi-de-Provence, l'Auvergne, Bourges, Angoulême, les quais de Bordeaux, Lourdes, Argelès, Aix-en-Provence (le tableau de Nicolas Froment et le musée des Tapisseries) (c'est que Wharton aime ce que l'on appelle alors les primitifs français), musée des beaux-arts de Dijon, Bourg-en-Bresse...

Colville, Chien dans une voiture, 1999, Halifax Art gallery of Nova Scotia


L'automobile a restauré le romantisme du voyage.

Nous libérant de toutes les obligations et promiscuités du chemin de fer, des contraintes horaires et des sentiers battus, de l'approche des villes par des zones de laideur et de désolation créées par la voie ferrées même, elle nous a rendu l'étonnement, l'aventure et la nouveauté qui animaient les trajets en malle-poste de nos grands-parents. Au-dessus de tous ces plaisirs retrouvés, il faut ranger l'enchantement de prendre une ville à l'improviste, de s'y glisser par des portes arrières et des chemins non répertoriés, d'y surprendre quelque aspect intime du passé, quelque silhouette cachée depuis un demi-siècle ou plus par le vilain masque du remblai des voies et la masse métallique d'une énorme gare.
C'est le début.

À coup sûr nous avons absorbé beaucoup de la Loire en suivant ses courbes ce jour-là : un fort sentiment du déploiement métallique de ses flots, de l'amabilité de ses rives, de la douce platitude de ce paysage de vignobles et de jardins, image d'une société hautement évoluée mais légèrement insipide ; une impression de longs villages blancs, de villes solidement coniques sur de petites collines, etc.

L'édition Folio est précédée d'une excellente préface de Julian Barnes qui indique... que tout est faux ! Ou presque. Edith Wharton voyage avec son mari, Henri James et un chauffeur, mais les domestiques partent devant en train avec tous les bagages. Où l'on comprend que l'arrêt à Lyon ou à Paris a dû durer plus longtemps que ce qui est raconté. Le livre est une sorte de mise en scène d'un voyage en automobile qui, en réalité, a duré plusieurs semaines, et n'a sans doute pas été aussi rapide qu'il le laisse penser. C'est l'image d'une escapade, d'une course, c'est presque un jeu, mais ce fut en réalité deux ou trois grands voyages.

Edith Wharton sur le blog :

Au temps de l'innocence : roman de la haute société new-yorkaise, mais je ne le trouve pas très bon.
Ethan Frome : un très beau roman de neige.
L'Été : apparemment j'ai apprécié, mais je ne m'en souviens plus du tout.

Je note qu'elle a publié et réuni en un volume une série d'articles sur le front de la Première guerre et cela m'intéresse bien.

Évidemment, cette lecture donne envie de monter dans le train (ou le bus) et de visiter les petites villes de France, mais en prenant son temps.
Grâce à la vitesse de l'automobile, me voici avec une semaine d'avance pour ma participation aux escapades européennes de Cléanthe. À noter que le blog vous propose de nombreuses escapades européennes, entre Venise et Vierzon, sans oublier l'archéologie espagnole – un jour l'Angleterre reviendra !
En attendant, le blog et moi allons, nous aussi, prendre des vacances. Je vous retrouve fin août ou début septembre. Portez-vous bien !




11 commentaires:

  1. Merci pour ta participation. Oui, l'automobile est un moyen de transport rapide, et te voilà déjà filant devant, alors que d'autres n'en sont qu'aux préparatifs du voyage!

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    1. En 1908, avec les voitures de l'époque, vu la piètre qualité des routes françaises (pas de nationale, goudron approximatif), ça devait filocher à un rythme raisonnable !

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  2. Tu ne sembles pas avoir été convaincue par cette évocation d'un voyage qui, si j'ai bien compris manque de fond ... Elle se promène, en fait ...

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    1. Oui c'est assez léger, pas désagréable, mais il n'y a pas grand chose non plus. C'est intéressant au titre de document d'époque, sur le rapport au paysage et au déplacement.

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  3. Merci pour la précision de Barnes, ça change un peu tout. Si on veut un peu retrouver ça de nos jours, surtout ne pas prendre l'autoroute!!! Quels plaisir ces petites routes, ces découvertes, et sans gPS c'est encore plus drôle.
    Bonnes vacances

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    1. Je ne suis pas du genre à répugner de pendre une carte ou un GPS, ce serait crétin de s'en priver.

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    2. Je parle de GPS, pas de carte ^_^ J'ai un vieux truc dans le coffre de la voiture ou alors demander à l'autochtone, la plupart du temps ravi. Mais je sais qu'un jour je craquerai?

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  4. J'ai personnellement choisi le vélo, pour l'escapade du 15....

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    1. J'ai cru comprendre que tu partais en vélo avec Émile en effet.

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  5. Je ne connaissais pas ce livre d'Edith Wharton. Pour ma part, je n'utilise la voiture que très rarement (pour aller en vacances, par exemple). Cette année encore, j'ai pu constater à quel point ce mode de transport est (trop ?) rapide. On est dans le sud de la France le matin et hop, en fin de journée, on est déjà dans le Nord !

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    1. Je prends beaucoup le TGV et ça va vite aussi tu sais. À 8h à Marseille, à 13h en train de se peler à Bruxelles.

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